David Cronenberg s'est révélé au fil de sa filmographie un brillant adaptateur des œuvres littéraires les plus ardues parce que les plus conceptuelles, et l'idée géniale de "Crash" est de refuser aux délires malsains du chef d'œuvre de J. G. Ballard un traitement "bruit et fureur" qui paraissait pourtant une évidence, et lui préférer une douceur froide, aussi anti-spectaculaire que perverse.
"Crash" est donc un film minimaliste, qui marqua en 1996 une étape décisive dans l'éblouissante évolution de *Cronenberg+ : en transcendant son difficile sujet - qui aurait pu être scabreux dans tant d'autres mains -, il en exprime l'essence même, la distillant au travers d'une narration magnifiquement statique, d'une dramaturgie presque inexistante mais d'une indicible beauté. L'effet de distanciation nécessaire - répondant à l'aspect "théorique" du roman ballardien - est renforcé par la froideur objective de la mise en scène et par le doux détachement avec lequel ses personnages évoluent dans leur monde.
Le risque couru du fait de ce choix est de frôler le "porno chic" : en transformant les visions pré-apocalyptiques de Ballard en une sourde fascination sexuelle, Cronenberg banalise certes le propos de son film - on a le droit de trouver ces pratiques marginales et donc insignifiantes - mais on comprend peu à peu qu'il joue la carte de la fascination et du dégoût plutôt que celle de l'horreur pure.
"Crash", film impossible s'il en est, sera donc, selon les goûts de chacun (mais on peut sans doute écrire la même chose à propos de la plupart des films de Cronenberg !), un chef d’œuvre halluciné et toxique, ou une aberration stylisée et ennuyeuse. Le jury du Festival de Cannes lui attribua quant à lui son Prix Spécial cette année-là, mais les fans absolus du cinéaste canadien que nous étions le virent comme un sommet de sa filmographie, mais également un point de non-retour.
[Critique écrite en 2021, à partir de notes prises en 1996 et en 2011]