Les univers de David Cronenberg sont à la fois fascinants et empoisonnés. Et souvent, il est très facile d'y basculer, tel le papillon de nuit irrémédiablement attiré par la lumière.


Dans Crash, la lumière, c'est l'érotisme, la transformation des corps, la tension sexuelle fétichisée poussée dans ses ultimes retranchements. Alors même que dans Crash, l'intrigue en est presque réduite à sa plus simple expression. L'ennui dans le couple, l'érosion du désir, la vacuité de l'existence et l'influence de la société de consommation. Pas de quoi aller très loin, donc, a priori. Et c'est le cas.


Sauf que tout l'intérêt de Crash s'inscrit dans la cristallisation de l'obsession, une plongée dans l'abîme : celui de la psyché des gens aisés qui, même quand ils s'emmerdent, n'y remédient pas comme tout le monde. Car le classique, ils l'ont déjà essayé, tiens, dès les premières minutes du film : aller voir ailleurs ne leur suffit plus. Déjà blasés.


Il faut du neuf, du jamais ressenti, du glauque.


Est c'est là que la magie de Cronenberg se déploie, tout aussi morbide que fascinante. La chair meurtrie, ses stigmates, ses cicatrices. Les pulsions de vie et de destruction à l'épreuve du métal comprimé. Eros et Thanatos s'étreignent sur la banquette arrière ou à la place du mort. Et si les corps indemnes sont tout d'abord caressés, les rencontres s'enchaînent ensuite pour dévoiler le pouvoir d'attraction intense et noir de l'accident, morbide rencontre lacérant la chair, transpercée de fils chirurgicaux et de broches, soutenue par des corsets et prothèses.


Et puis il y a, sous les jupes, soutiens-gorge ou bas résilles, cette peau marquée, suppliciée, vallonnée, ourlée et encore rose d'avoir été lentement régénérée. Les doigts caressent et s'y aventurent, puis la langue s'y insinue, comme entre des lèvres douces et délicates. Sous la caméra de David Cronenberg, cette fétichisation perturbe mais, dans un même mouvement, attire vers l'abîme dans lequel s'abandonnent l'ensemble des personnages de Crash. Jusqu'à être prisonnier d'un voyeurisme volontaire avec lequel le réalisateur joue constamment.


Et si les sens se débrident sur le cuir et la carrosserie, les sons et les murmures du plaisir sont constamment mêlés aux bris de glace, aux compressions aiguës et aux cliquetis et grincements des mécanismes métalliques soutenant les corps diminués, enfermés, entravés.


Tandis que les métaphores de fusion entre le biologique et le mécanique se multiplient, prenant leur source dans celle, originelle, de réseau routier et de sa circulation, déroulé sous les fenêtre du couple, identique au réseau sanguin qui anime le corps humain et ses volcaniques pulsions physiques.


Pulsions de plus en plus addictives, addiction de plus en plus maladive, dont le plaisir nécessite d'aller toujours plus loin dans le risque. A l'image de cette dernière étreinte, aussi brûlante que tragique. Car si la routine est brisée, s'ils se sentent juste un peu vivants, ils ne restent qu'un infiniment petit dérisoire dans le décor, dans leur environnement immédiat. Et cela, pas sûr que le prochain crash puisse y changer quelque chose.


Behind_the_Mask, édition black & chrome.

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le 13 juil. 2020

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