Un film réalisé par des ours, supplément nanar et cocaïne !

Cocaïne Bear est très certainement l’une des sorties les plus étonnantes et loufoques de ce début d’année 2023. Réalisé par Elizabeth Banks, comédienne avant-tout mais également réalisatrice à de rares occasions, on lui doit notamment la suite - passable mais correcte - de Pitch Perfect (Jason Moore, 2013), à savoir Pitch Perfect 2 (2015) ou encore sa participation au nauséabond My movie project (2013). La réalisatrice s’est enfin illustrée dans l’infâme reboot de Charlie et ses drôles de dames (2019). Des faits d'armes peu reluisants où le moyen côtoie le pathétique... mais qu’en est-il de cette dernière réalisation ?


Soyons honnêtes, le pitch du film - inspiré par un fait divers - a tout pour faire rêver : une cargaison de cocaïne perdue au beau milieu de la forêt géorgienne (U.S.A) est dévorée (en partie) par une ourse qui finira par décéder d’une overdose. Le film se targue bien de son appellation « inspiré de faits réels » et le terme « inspiré » n’a jamais trouvé autant de sens que dans Cocaïne Bear. En effet, si le long-métrage possède toutes les clefs afin de nous livrer une comédie horrifique et loufoque digne de ce nom, dans les faits … Nous en sommes loin.


Le film s’ouvre avec une scène qui nous plante directement le décor : un trafiquant de drogues perd le contrôle de son avion et doit quitter celui-ci au plus vite. Dans la foulée, il balance toute sa marchandise - de la cocaïne - qu’il compte bien récupérer une fois arrivé sur le plancher des vaches. Ce dernier tente de s’extirper de l’avion en vol, mais au moment de sauter avec son parachute, il se cogne contre le rebord de l’appareil et chute. Le voilà laissé pour mort. La marchandise s’écrase alors dans les verdoyantes forêts de Géorgie (U.S.A) mais est retrouvée et consommée par une ourse. Cette courte séquence est suivie de la traditionnelle bannière “inspiré de faits réels”, symptomatique de ce genre de productions - un gage de qualité auto-proclamé facile et racoleur. La narration se targue ensuite d’une citation tirée d’un article Wikipédia (l’encyclopédie libre) sur l’ours brun. Cette dernière nous informe que l’ours brun n’attaque que très rarement les humains et que, le cas échéant, il est nécessaire pour sa proie de se défendre plutôt que de fuir. Le scénario nous paraphrase ce que nous allons voir durant la prochaine heure et demie. Le ton est donné dès les premières minutes : nous ne ferons pas ici dans la subtilité. Après quelques prises de vue au drône et des plans d’ensemble plutôt bien amenés, mettant en exergue la magnificence de ces forêts, nous suivons les aventures d’un couple à la merci de l’ourse éponyme.

La femme décède dans d’attroces souffrances et son mari s’enfuit, en quête de renforts. Ce schéma de meurtres et de fuites se répètera tout au long du film, s’inscrivant dans la tradition des slasher movies : des films où un.e tueur.euse / une entité assassine sans vergogne un panel d’individu.e.s. Nous parlons bien ici de meurtres car l’ourse sous cocaïne tue consciemment et de façon cruelle les protagonistes afin de mettre la patte sur un petit pochon de C, vraisemblablement déjà accro.

Une fois le décor planté et les mécaniques scénaristiques huilées, est-il vraiment nécessaire de s’attarder sur les évènements relatés dans Cocaïne Bear ? Car s' il existe beaucoup de films se démarquant plus par leur identité (la photographie, l’écriture, le style, la B.O, le casting, …) que par leur scénario, Cocaïne Bear n’en a pas la prétention. Le film tente de se donner une nature gore et subversive mais il n’en reste qu’une œuvre grossière et déjà-vue. Je m’explique. Absolument TOUS les protagonistes du film vont exister au travers d’un schéma ultra classique : présentation de personnage 1, suivie de présentation de personnage 2, personnage 3, etc. Une fois tout ce beau monde introduit, il faut les faire se rencontrer et coopérer pour enfin les tuer, les uns après les autres. Le script de Cocaïne Bear ne réinvente rien et se calque sur un modus operandi commun et identique depuis la sortie de Black Christmas (Bob Clark, 1974), considéré comme le premier représentant du genre slasher. Une fois encore, reprendre un modèle déjà existant n’est pas forcément synonyme d’une mauvaise œuvre, mais il est particulièrement fatiguant de voir les propositions du genre s'enchaîner avec une telle fainéantise. Le film reprend d’ailleurs d’autres schémas vus, revus et re-re-revus : du parent absent en quête de rédemption auprès de son enfant pour qui il ne tient aucune promesses, aux trafiquants de drogues issus pour la plupart des minorités, aux multiples tentatives d’intégrer des séquences émotions pour chaque personnage, à “la-flique-qui-en-fait-n’en-était-pas-une-mais-en-fait-elle-faisait-partie-du-cartel-et-ohlala-on-ne-l’avait-pas-vu-venir“, le film fait souffler à bien des égards. Tout y est bâclé, grossier et paresseux. Une œuvre tellement expédiée qu’elle ne prend pas le temps de développer ses personnages correctement. En effet, le film possède un très grand nombre de personnages qui cohabitent en son sein mais avec une telle durée (1h35) et autant d’histoires à connecter les unes aux autres, le pari est impossible à tenir. On passe sans cesse d’une situation à l’autre sans que le.a spectateur.ice n’ait le temps d’assimiler ce qu’il.elle vient de recevoir. Mention spéciale à l’intrigue mettant en scène le personnage de Dentwood, incarné par Ray Liotta - interprète légendaire du personnage d’Henry Hill dans Les Affranchis (Martin Scorsese, 1990) - qui apparaît au tout début de cette aventure lors d’une scène d’une durée ridicule pour ENFIN réapparaitre dans le dernier quart du film, tentant d’instaurer une relation complexe avec son fils, lui-même impliqué dans les affaires du cartel de son père. Une question me vient alors : comment créer un engagement émotionnel si l’écriture du film ne m’introduit un personnage qu’au travers de clichés dans une séquence d’à peine deux minutes ? Le plus grand défaut de Cocaïne Bear est là : c’est un film qui ne prend pas le temps de raconter son histoire , ni même d’instaurer une quelconque implication émotionnelle chez le spectateur.


Mais est-ce vraiment là l'intention première d’Elizabeth Banks ? Pour être tout à fait honnête, il est un peu fallacieux et malhonnête de ma part de d’abord m’attarder sur l’écriture du long-métrage. En effet, il est certain que sa réalisatrice ne cherche en aucune sorte à créer une œuvre majeure du septième art. Le film a été réalisé dans une optique à divertir son public au travers d’une comédie horrifique, et c’est tout à son honneur. Malheureusement, Banks n’a vraisemblablement pas tous les codes du genre et cela se ressent au travers d’un ton grossier et d’une esthétique outrancière (surtout dans les passages les plus gores) et je tiens à souligner que je n’ai aucun problème avec cela ! Au contraire, j’en raffole. J’en veux pour preuve la scène de course poursuite au milieu du film, entre l’ourse sous cocaïne et une ambulance.


Une scène intense, bien rythmée, drôle et aux profusions d’hémoglobine servies dans une surenchère à foison : un délice.


Cette scène brille en effet par une réalisation qui démontre le potentiel et l’identité de la cinéaste. Malheureusement, il n’en est rien pour bon nombre de séquences qui ne font que dans la surenchère…

Notamment la dernière scène de Ray Liotta qui se fait dévorer les entrailles par des oursons en mode spaghettis à la bolognaise. Une scène des plus mémorables pour terminer sa carrière (avis à la team premier degré : ceci est du sarcasme).

Ce manque de subtilité laisse à penser aux spectateur.ice.s les plus néophytes que ce type de production est représentative du genre et je trouve cela bien dommage. J’ai eu beau écumer internet à la recherche d’un quelconque extrait d’interview de la cinéaste afin que cette dernière nous livre ses inspirations derrière Cocaïne Bear, et je n’en ai trouvé aucune. Je tiens celà pour preuve du manque de connaissances du genre exploré par la réalisatrice. Cette dernière n’en a qu’une vague idée et cela lui importe peu. De surcroît, le film eut droit à une grande visibilité aux Etats-Unis ainsi qu’à un accueil chaleureux de la part du public. En effet, pour un budget d’à peu près 32 millions de dollars, le film en a rapporté 89,3 millions. Pratiquement trois fois plus. Cette information nous prouve que ce genre de proposition nanardesque peut engendrer beaucoup d’argent.


Cocaïne Bear mérite-t-il cependant d’être relégué au même rang que les Sharknado (Anthony C.Ferrante, 2013) et autres The Meg (Jon Turteltaub, 2018) ? La réponse est non. Si les productions évoquées précédemment ont un attrait pour le mauvais goût et l’outrance, elles n’ont cependant pas la prétention d’être des films qui se prennent au sérieux. Elles sont conscientes du caractère peu reluisant que le public leur attribue et François Theurel (Le fossoyeur de films) les qualifiera en 2015 de “comédies nanardesques”, néologisme qui a, dans ce cas précis, tout son sens. Il s’agit de films qui n’ont pas la volonté d’en être. Ils cherchent simplement à surfer sur la vague de la médiocrité en provoquant une certaine condescendances et de nombreuses railleries de la part de son public. Stratégie gagnante puisque ces derniers ont été rentables. Dans le cas de Cocaine Bear, malgré tous ses défauts énoncés précédemment, il reste une envie de faire un bon film. La CGI est plutôt soignée et ne pique pas trop les yeux, la photographie reste inspirée et les décors (naturels pour la plupart) sont retranscrits de sorte à nous faire ressentir la prise au piège des protagonistes au sein de cette forêt, tous et toutes à la merci du cocaine bear. Soulignons également la présence de Jesse Tyler Ferguson (acteur iconique de Modern Family, 2009-2020) qui fait fort plaisir tant il reste drôle et attachant même avec une partition aussi étroite, et rappelons la participation de Ray Liotta ! Pour ma part - et malgré de nombreux choix de carrière douteux - ça fait toujours plaisir. Le film conserve tout de même quelques scènes d’anthologie au sein de son propre univers ; je rappelle la scène de course poursuite - très drôle - évoquée précédemment dans cette critique. La plupart des acteurs et des actrices cabotinent énormément mais ce registre de jeu reste de circonstance, compte tenu de la nature du film. Plusieurs blagues font mouche et une fois notre esprit critique mis sur off, on se bidonne souvent, sans trop savoir pourquoi.


Au final, que doit-on retenir de ce Cocaïne Bear ? A mon humble avis, il s’agit ici d’un film qui a pour volonté de rendre hommage à certaines séries Z et autres productions obscures sans connaître son matériau de base. Une œuvre décomplexée qui parvient tout de même à nous arracher quelques sourires (parfois même des rires) si l’on parvient à prendre suffisamment de recul pour en profiter. Si vous comptez prochainement visionner Cocaïne Bear, je vous conseille fortement de le faire avec quelques bières et des potes, la projection n’en sera que d’autant plus savoureuse ! Vous finirez même pas vous amuser vous-même de ces incohérences et autres défauts de fabrication. Pour ma part , je classerais ce film dans la catégorie : “pas assez mauvais pour être mémorable mais suffisamment bon pour être sauvé du naufrage”. En d’autres termes : un film sympathique, parfois drôle mais franchement oubliable. Il n’en reste pas moins une expérience rigolote à partager avec ses ami.e.s !


TheCraquelin
4
Écrit par

Créée

le 18 août 2023

Critique lue 8 fois

TheCraquelin

Écrit par

Critique lue 8 fois

D'autres avis sur Crazy Bear

Crazy Bear
Jb_tolsa
3

Pierre Palmade dans : Boucles d'Or

Critique parodique.C'est Pierre. Pierre est un ours brun qui a connu la célébrité dans les années 90 avec quelques spectacles humoristiques parlant de son homosexualité, un sujet très difficile à...

le 15 mars 2023

14 j'aime

12

Crazy Bear
Kaede-Asaji
7

“It’s like cocaine christmas”

Alors qu’on se le dise le côté “inspiré de faits réels” n’est clairement qu’un simple effet de marketing car l’histoire d’origine est beaucoup moins fun et bien plus simple. L’ours en question ingère...

le 2 mars 2023

14 j'aime

Crazy Bear
RedArrow
6

Ours mal léché mais ours bien drogué

Malgré toute la sympathie que l'on peut avoir pour la comédienne Elizabeth Banks, on ne peut pas dire que sa volonté d'accéder à un statut de réalisatrice ait été suivie des mêmes louanges qui...

le 21 mars 2023

9 j'aime

2

Du même critique

À l'intérieur
TheCraquelin
6

“ Les chats meurent, la musique s’estompe mais l’art demeure. ”

Après la reconnaissance critique et publique du réalisateur Yórgos Lánthimos, à qui l’on doit notamment Canine (2009), film grec indépendant s’étant fait remarquer, notamment au festival de Cannes -...

le 18 août 2023

Barbie
TheCraquelin
6

Pente glissante ...

Avant toute chose, je tiens à souligner l'exploit qu'est le film Barbie. Il me semble que c'est la première fois que nous avons droit à un film d'une telle ampleur (blockbuster de l'été) au casting...

le 5 août 2023