Cremaster 4: vaseline, claquettes et cheveux orange
The Cremaster Cycle, plus qu'une série de films avant-gardistes, une oeuvre d'art contemporain diront certains. Ce quatrième volet, reste dans la continuité de ses prédécesseurs, Matthew Barney nous plonge dans un univers esthétiquement déroutant servant de support à un récit métaphorique particulièrement hermétique. Le réalisateur n'est peut-être pas le chantre du bon goût, mais il a le mérite de nous proposer une fois de plus un travail soigné dans les moindres détails. Pour sa première oeuvre cinématographique, il a pu bénéficier d'une somme rondelette grâce à plusieurs institutions artistiques pour mener au mieux son travail. Cela se répercute à l'écran, le film étant visuellement très léché. Durant les 42 minutes que dure le court métrage, le spectateur voit défiler sous ses yeux une succession de scènes plus sibyllines les unes que les autres et pratiquement dénuées de toute explication. Lâché en pleine nature, sans boussole, ni carte. Il ne lui reste plus, alors, qu'à planter sa tente et se laisser envoûter par l’enivrante étrangeté qui émane du film.
Difficile de résumer brièvement un tel déluge de scènes plus obtuses les unes que les autres. Chacune demanderait une courte description et pour le moins une explication. Soyons bref, soyons concis, mais tentons d'apporter un minimum de sens à ce qui apparaît comme un fourre-tout symbolique un brin prétentieux. Les connaisseurs retrouveront dans ce quatrième volet, le thème qui cimente chaque épisode de la série. Biologiquement, le crémaster est une muscle qui permet de faire monter ou descendre les testicules. Barney utilise le relâchement de ce muscle comme un symbole de l'apparition du genre masculin chez un être humain (ce qui apparaît environ neuf mois après la création du fœtus). La série de cinq films suit une progression logique. Elle commence par le stade de genre encore non identifié (le muscle est alors contracté au maximum), puis se focalise sur l’acharnement de l'organisme à résister à l'identification de son genre, pour finir par l'inévitable moment ou l'identité sexuelle ne peut plus être niée (relâchement complet du muscle et l'apparition des glandes sexuelle mâle). Ce quatrième épisode possède comme les autres films de la série une structure circulaire, son début et sa fin commençant au même endroit. Il s'intéresse plus précisément au désir de l'organisme masculin de retourner à un état neutre du genre tel qu'il a été formé et annonce, par sa scène finale, l'épisode suivant, dernier volet de la série, traitant de l' accomplissement définitif de la sexualisation masculine.
Je ne cherche pas avec cette critique à expliquer en détail chaque scène du film (certains sites de fans sont très bons pour ça), je risquerai de me fourvoyer dans un laïus amphigourique inutile. Je cherche surtout à vous donner envie de tenter l'aventure. Voici donc un court résumé, histoire de vous mettre l'eau à la bouche... L'épisode se déroule sur l'île de Man près des côtes irlandaises, célèbre pour sa course de side-cars annuelle et pour abriter une espèce rare de bélier, le "Loughton Ram". Le film s'articule autour de deux actions simultanées: deux équipes concurrentes font le tour de l'île, tandis que le “candidat Loughton” être mi-homme, mi-bouc, aux cornes sciées et aux cheveux oranges, descendant du satyre de Manx appelé Phynnodderree exécute un numéro de claquettes plein de virtuosité. Chacune des actions est assistée par une triade de créatures féminines asexuées et bodybuildées qui facilitent ou retardent sa progression.
Difficile d'avoir un avis objectif concernant cette bizarrerie cinématographique. Le film, même s'il parvient à nous captiver avec peu de choses souffre de longueurs malgré sa courte durée. Prenons par exemple la course de side-cars, interminable et franchement peu captivante, elle m'a gonflé aussi vite que la route qui défilait sous mes yeux. Néanmoins, dans son ensemble, il s'agit du seul épisode qui a réussi à me scotcher du début jusqu’à la fin sans que je sois démangé par l'envie d'appuyer sur le bouton avance rapide du lecteur.
D'un point de vue esthétique, car il s'agit selon moi de l’intérêt premier du film, chacun aura son propre avis. De mon côté, disons simplement que j'ai du mal à accrocher, même si à ce sujet, il s'agit de mon Cremaster préféré. Les décors vides et froids du premier et du deuxième volet (oui j'ai pas vu le trois qui dure une plombe) laisses place à un décors naturel bien plus agréable au regard. Certains passages arrivent même à se relever visuellement captivants . C'est le cas en particulier de celui de la grotte sous-marine, surement le meilleur par sa beauté fantasmagorique, la légère tension instaurée et l'étrangeté de la situation. Voir un satyre aux cheveux orange habillé d'un costume lutter comme un beau diable pour avancer dans un couloir rocheux tapissé de vaseline, je peux vous assurer que cela vaut le coup d’œil. Ce personnage, pour l’anecdote, est joué par le réalisateur lui-même et, grâce à un un maquillage très convaincant, parvient à être charismatique malgré sa laideur. Pour peu, il vous donnerait presque envie de vous teindre les cheveux en orange et de vous mettre aux claquettes. Pour terminer, mentionnons aussi la scène de clôture assez surréaliste qui a eu le don de m'extirper de la douce torpeur dans laquelle je baignais tout au long de la séance.
Pour plus d'explication au sujet du film et de l'oeuvre de Matthew Barney en général: cremasterfanatic.com
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