They call her One-Eye
Il y aurait un livre à faire avec les films que des réalisateurs populaires ont sorti de l'ombre. Si certains comme Martin Scorsese se focalisent davantage sur un travail d'archiviste et de...
le 19 août 2015
21 j'aime
6
Il y aurait un livre à faire avec les films que des réalisateurs populaires ont sorti de l'ombre. Si certains comme Martin Scorsese se focalisent davantage sur un travail d'archiviste et de restaurateur (voir le splendide travail effectué sur la copie des Chaussons rouges), d'autres ont remis sur le devant de la scène leurs films fétiches à grands coups de références et d'hommages. Dans le cas de Crime à froid (aka Thriller), film suédois de 1973, combien d'entre nous en ont appris l'existence en 2003, lorsque Tarantino s'exprimait sur le personnage d'Elle Driver, la borgne de Kill Bill ?
Preuve qu'une iconographie spécifique peut nourrir un personnage et son contraire, l'héroïne de Crime à froid trouvait une seconde jeunesse dans un protagoniste avec lequel elle n'a fondamentalement rien à voir. Jeune fille frêle embringuée dans un réseau de prostitution à la petite semaine (en fait une maison de passe où elle est retenue prisonnière), Frigga perdra un œil pour avoir refusé un client. Une diminution physique supplémentaire, l'héroïne étant muette depuis l'enfance, conséquence d'une agression sexuelle qui fait l'ouverture du long-métrage.
Une introduction qui réduit d'emblée à néant les fausses idées que véhicule malgré lui le long-métrage de Bo Arne Vibenius : malgré le charisme phénoménal de sa comédienne, Christina Lindberg, et l'impact visuel de son accoutrement dans la seconde moitié du film, Crime à froid n'a rien d'un défouloir pop à la Kill Bill. Si le film de Tarantino est tout à fait capable d'émouvoir, il s'accompagne de couleurs, de musiques et d'un rythme joyeux qui ne sont clairement pas l'apanage de Vibenius, son film étant l'étendard premier degré d'un genre phare du cinéma d'exploitation.
Ce genre, le rape and revenge (littéralement, "viol et vengeance") connaît certes d'autres représentants au sérieux affiché. Cinq ans après lui, c'est le Day of the woman de Meir Zarchi qui allait secouer son public en filmant le viol d'une jeune-femme durant une demi-heure entière, la victime ne cessant de s'enfuir puis d'être rattrapée par ses tortionnaires, en pleine forêt. Trois décennies plus tard, c'est Irréversible de Gaspar Noé qui allait faire entrer le genre dans une nouvelle ère et scandaliser le festival de Cannes.
Si Crime à froid mérite d'être redécouvert aujourd'hui, c'est en partie parce que le viol y est représenté soit de façon métaphorique (la terrifiante ouverture en extérieur), soit de façon explicite mais longuement contextualisée (toute la partie où l'héroïne est forcée de se prostituer, dont certaines scènes de la version intégrale incluent de glaçants inserts pornographiques). Œuvre au rythme volontairement bizarre, Crime à froid est atmosphérique davantage que belliqueux, le cinéaste faisant conserver à sa comédienne un visage impassible.
Comme mentionné plus tôt, la première agression subie par la jeune fille, durant son enfance, l'a rendue muette. En termes de caractérisation, le procédé est hautement efficace et décuple l'empathie pour le personnage. Cinématographiquement parlant, l'idée confère à cette figure vengeresse une grâce quasi spectrale, sa silhouette évoquant d'ailleurs celle de Sasori, la femme scorpion, cousine japonaise entrée au panthéon du WIP (Women in Prison, autre sous-genre du cinoche d'exploitation) grâce à l'interprétation de la sublime Meiko Kaji dans les trois premiers opus de la saga.
Mais là encore, Crime à froid se distingue de ses semblables, son ambiance réellement pesante et le froid envahissant de ses décors étant cadrés avec un sérieux imperturbable. De quoi faire oublier l'interprétation faiblarde des seconds rôles et mettre en avant le travail plastique de Vibenius, dont une poignée de ralentis hallucinatoires lors de certaines exécutions punitives. Film cruel et racé, Crime à froid fut interdit dans son pays natal, raison de plus pour redécouvrir un travail parmi les plus intéressants du rape and revenge.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Faire son boulot d'éclaireur, Les meilleurs films des années 1970 et Les meilleurs films pornographiques
Créée
le 19 août 2015
Critique lue 1.5K fois
21 j'aime
6 commentaires
D'autres avis sur Crime à froid
Il y aurait un livre à faire avec les films que des réalisateurs populaires ont sorti de l'ombre. Si certains comme Martin Scorsese se focalisent davantage sur un travail d'archiviste et de...
le 19 août 2015
21 j'aime
6
Thriller/ They call her one eye, appellation que l'on préfèrera au pâle et insipide CRIME A FROID, est un film a part. Tout en mélangeant pornographie, violence et sentiments, il pose les jalons des...
Par
le 15 août 2011
18 j'aime
4
Crime à froid est ce qu'on appelle un rape&revenge, un sous-genre limite défendable dans lequel une fille, comme vous l'aurez compris, se fait râper, se venge et se revenge. Dans celui-ci, que l'on...
Par
le 6 mars 2015
17 j'aime
3
Du même critique
Ca tient à si peu de choses, en fait. Un drap qui se soulève, le bruit de pieds nus qui claquent sur le sol, une mèche de cheveux égarée sur une serviette, un haut de pyjama qui traîne, un texto...
le 4 sept. 2022
226 j'aime
34
Critique tapée à chaud, j'ai pas forcément l'habitude, pardonnez le bazar. Mais à film vite fait, réponse expédiée. Personne n'est dupe, le marketing peut faire et défaire un film. Vaste fumisterie,...
le 9 août 2014
220 j'aime
97
Rendre attachants les êtres détestables, faire de gangsters ultra-violents des figures tragiques qui questionnent l'humain, cela a toujours été le credo de Martin Scorsese. Loin des rues de New-York,...
le 25 déc. 2013
217 j'aime
14