On ne peut certes pas reprocher à Martti Helde de choisir la facilité pou son premier film puisqu’il choisit en effet d’aborder la déportation de milliers d’Estoniens par le pouvoir soviétique en Sibérie durant la Seconde Guerre mondiale. De la même façon, on ne peut lui tenir grief de proposer une forme inédite et particulièrement travaillée pour mettre en scène le récit épistolaire d’une femme déportée et séparée de son mari. Tourné en noir et blanc, le film est principalement constitué de longs travellings qui suivent, contournent et enrobent des personnages figés, quasiment statufiés, dans leur position – la plupart du temps, une position courbée, de soumission ou d’asservissement. On saisit bien que cette proposition radicale prend en charge l’arrêt du temps pour les déportés. D’ailleurs, les moments heureux qui précèdent l’arrestation, à l’ombre des pommiers en fleurs, sont captés dans le mouvement, même s’il est souvent ralenti ou syncopé. Autre particularité : les dialogues sont inexistants, suppléés par une voix off, celle de l’auteur des lettres. Une voix éthérée qui ajoute encore au particularisme formel de l’ensemble. Pour intransigeant et accompli qu’il soit, ce geste de pur cinéma déconcerte d’abord, mais surtout finit par poser problème et semer le trouble. Car on y voit aussi le témoignage d’une réelle prétention, hélas un peu vaine sur la longueur. En effet, le dispositif fonctionne avant tout sur un principe itératif qui semble ainsi démultiplier le même plan dans sa composition, le déplacement languide et enveloppant de la caméra, l’hiératisme de plus en plus pesant. Autrement dit, tout ceci est très beau, voire esthétisant, le résultat d’une réflexion puissante que le réalisateur exhibe avec un peu trop de certitude et de fanfaronnade, installant du coup une distance préjudiciable qui édulcore paradoxalement la puissance de la tragédie estonienne. En inventant le négatif du plan fixe, Martti Helde fait preuve assurément d’une authentique audace dont on regrette qu’elle ne soit mise au service d’une narration davantage incarnée.
PatrickBraganti
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le 11 mars 2015

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