En vrac, et à peu près dans l'ordre,

une route étroite coincée entre terre et mer, une voiture à l'horizon, un homme poussant une voiture avec un bras en écharpe, un autre homme au volant et très mal en point, un crabe, une mitraillette, une forteresse perchée, des mouettes, une femme topless allongée sur un homme allongé sur le sable, un crabe, des poules, des hurlements de mouettes, une gargouille en forme de chien, des aboiements, un cerf-volant, Walter Scott, un poulailler, des poules, des oeufs, une échelle aux barreaux pourris, des oeufs cassées, une femme qui glousse, une échelle aux barreaux cassés, un homme à terre, des poules qui gloussent, une voiture rattrapée par la marée montante, un homme en nuisette, une femme qui glousse, des oeufs, une voiture poussée en pleine mer ...

Et tout cela dure à peine un quart d'heure.

La suite, une fois le décor posé (mais bien insolite le décor), une fois les personnages installés (mais bien tordus les personnages) pourrait sembler plus classique après ce prologue délirant - une prise d'otages basique par un truand en cavale, un trio (celui du boulevard le plus traditionnel) dans un huis clos angoissé. Et pourtant on perçoit très vite que quelque chose est grippé : film noir, comédie boulevardière, drame psychologique ou OVNI très surréaliste ?

Le casting, tout aussi insolite, et brillant, brouille encore un peu plus les pistes (et l'écoute) :

Lionel Stander, très loin d'Il était une fois dans l'Ouest, en brute épaisse et pataude, tempête et guette en attendant Godot ;

Françoise Dorléac, très loin des Demoiselles, court sur la plage et se baigne nue - et c'est très joli ;

Donald Pleasence, très loin d'On ne vit que deux fois (au reste il n'aura pas cette chance dans le film ...), en nuisette et maquillé comme une vieille starlette, ose la théorie du genre.

(Et l'on croise aussi Jack McGowran, le professeur Ambrosius du très proche Bal des vampires, en moribond très atteint, Jacqueline Bisset très jeune, un enfant insupportable et assez psychopathique et quelques autres.)

Tous surjouent - et surjouent d'ailleurs très bien. C'est peut-être le surjeu propre au boulevard (et on pourra, par moments, trouver les dialogues assez longs), c'est peut-être aussi l'expression d'un malaise sourd, de quelque chose de très malsain qu'on tente de cacher sous le flot des mots.

Lionel Stander éructe, grogne.
Françoise Dorléac pousse des rires de gorge, des gloussements incontrôlés.
Donald Pleasence émet des bruits plaintifs, des gloussements efféminés, tente de jouer à l'homme.

Polanski joue sur un noir-et-blanc bien inquiétant (les rais de lumière à l'intérieur du poulailler), sur une bande son magistrale (entre caquetage des poulets, cris des mouettes, bruits de moteur, de voitures, d'avions, de bateau, bruit du vent), sur une BO stridente et répétitive, très adaptée ( et qui s'achève, géniale trouvaille, en disque rayé).

On n'est sans doute pas au boulevard - mais bien dans un cul-de-sac.

Impasse géographique, certes - celle d'une route inondée par la mer, sur une fausse presqu'île totalement coupée de la terre à marée haute (Lindisfarne, île mythique, une sorte de Noirmoutier écossaise et très sauvage) et menant inévitablement à une forteresse perchée, à un à-pic ruiniforme ;
mais impasse aussi dans les corps et les cerveaux, dans la communication constamment court-circuitée, dans les non dits malsains et les actes toujours inadaptés et décalés - un huis clos sans issue.

PS - le titre de la critique a été très difficile à trouver car Guyness avait préempté (dans son auto-commentaire) toutes les couvertures auxquelles vous avez échappé, au terme d'une critique qui vaut le détour :

http://www.senscritique.com/film/Cul_de_sac/critique/8879676
pphf

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