Tout partait pourtant si bien : à ma gauche, un thriller de bonne facture par Delphine de Vigan, certes pas révolutionnaire et dans la lignée du Misery de King, mais assez bien troussé sachant éviter à plusieurs reprises les lourdeurs du méta et de la mise en abyme ; à ma gauche, Polanski, dont la réputation n’est plus à faire en termes de maîtrise, surtout à l’aune de son dernier opus en date, La Vénus à la Fourrure, parfait dans ses circonlocutions finalement assez similaires au sujet ici proposé : le réel, la fiction, les détours et les jeux, la manipulation et une forme de thérapie.


Il faut reconnaitre que cet optimisme à l’endroit du cinéaste occultait savamment l’adaptation précédente, le falot Carnage qui se limitait à un théâtre filmé scolaire et paresseux.


Epaulé par Olivier Assayas dont on se demande ce qu’il est venu faire dans cette galère (même si ses talents d’écriture laissent à désirer dans ses deux derniers opus, et plus particulièrement l’erratique Personal Shopper), Polanski va donc s’échiner à vider le livre de tout ce qui pouvait faire son charme : une réflexion sur le poids du succès littéraire, l’exploitation autobiographique comme ressort fictionnel, le syndrome de la page blanche et le fantasme romanesque.


Ce qu’il reste après cet essorage est au mieux amusant, sinon consternant.


Il faut faire preuve de bonne volonté et honorer sa cinéphilie pour accorder à un cinéaste de la trempe de Polanski le bénéfice du doute : forcément, une grande part des maladresses et de la tonalité ouvertement grotesque du film résultent d’une volonté assumée.


Un exemple entre mille : la laideur ajoutée des rêves, l’occasion de dispenser une CGI pathétique et des symboles tous droit sortis d’un blog d’amateur sur les ressorts du thriller psychologique.
Mais le morceau de bravoure réside sans doute dans l’interprétation. Les dialogues ne fonctionnent jamais, tout est d’une facticité terriblement embarrassante, quelque part entre un téléfilm régional de France 3 et une série américaine mal doublée sur RTL9.


Et, au firmament du film, Eva Green. Difficile de déterminer à qui jeter la pierre. Il est fort probable que la pauvre ne fait que répondre à des injonctions venues de plus haut. Mais ce sourire de psychopathe dès le premier plan, ces grands yeux exorbités pour annoncer une suspicion à son égard, cette diction récitée, l’intégralité de son jeu est une abomination.


Allez trouver de quoi sauver le film, après ça.
On aurait pu penser à une parodie, mais De Vigan est venue elle-même le cautionner en conférence de presse à Cannes (qui a tout de même eu le bon goût de présenter le film hors compétition)…


En tout cas, le Grand Théâtre aura bien ri, et s’est déchainé dès la sortie. Lorsqu’on huile son scénario avec un pied de biche, il ne faut pas s’étonner d’être crucifié lors de sa projection.

Sergent_Pepper
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le 2 nov. 2017

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Sergent_Pepper

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