D'Est
7.5
D'Est

Documentaire de Chantal Akerman (1993)

Un dispositif extrêmement simple : filmer un voyage depuis l'Allemagne de l'Est jusqu'à Moscou au lendemain de la dislocation de l'URSS, sans aucun commentaire, sans aucun sous-titre. Avec seulement quelques séquences plus scriptées, en plans fixes, qui viennent rythmer le film en arrêtant le mouvement (une salle de danse, l'intérieur d'une maison, un concert classique, un homme seul sur un banc, des paysans qui récoltent des pommes de terre), Chantal Akerman examine les territoires traversés qu'elle capte par la fenêtre d'une voiture, vraisemblablement, en travelling latéral constant sur plusieurs milliers de kilomètres. D'Est est par définition l'enregistrement d'un voyage, mais le résultat est en réalité une autre forme de voyage pour qui se laissera happer par ces deux heures durant lesquelles des centaines d'inconnus défileront, à mesure qu'on progresse vers l'est, de la campagne à la ville, de l'été à l'hiver. Les saisons passent comme les paysages et les habitants d'Allemagne, de Pologne, d'Ukraine et de Russie, et la radicalité du projet se traduit en des termes extrêmement doux dans la vision documentaire résultante, une douceur qui au choix, selon l'humeur et la sensibilité, rebutera par sa redondance et son abstraction, ou au contraire fascinera pour les mêmes raisons.


Il y a un peu du court-métrage A Trip Down Market Street Before the Fire réalisé par les frères Miles en 1906 dans ce film, avec une équivalence dans la trajectoire qui parcourait la rue principale de San Francisco en travelling avant — quatre jours avant le puissant tremblement de terre qui détruisit la ville. Dans D'Est, on découvre l'Europe de l'est au crépuscule de l'Union soviétique, à une époque où l'on ne savait pas vraiment ce qui allait advenir, le nouveau monde inconnu, qu'on soit dans les campagnes isolées ou dans les zones urbaines aux populations concentrées. L'ensemble n'échappe pas à une certaine forme d'austérité et d'ennui, étant donné le minimalisme acharné du documentaire, mais le visionnage procure des sensations notables, liées au décalage suscité vis-à-vis de ce que l'on peut y voir. Et c'est captivant.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/D-Est-de-Chantal-Akerman-1993

Morrinson
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top films 1993, Mes Documentaires, Dernières bizarreries vues, Réalisatrices de choix - Chantal Akerman et Cinéphilie obsessionnelle — 2024

Créée

le 8 avr. 2024

Critique lue 86 fois

Morrinson

Écrit par

Critique lue 86 fois

D'autres avis sur D'Est

D'Est
Reyzox
9

Un moment suspendu dans le temps par un regard d'une pertinence sans nom

Instantanément amoureux de Chantal Akerman et charmé par le language qu'elle développe. Ici l'émotion passe par l'authenticité permise par le dispositif mis en place qui laisse la totale liberté aux...

le 2 oct. 2024

D'Est
Wynd
2

Critique de D'Est par Wynd

Un documentaire comportant des plans fixes d'une telle longueur qu'ils trahissent finalement le fait d'être joués. Aucun élément géographique ni historique ne sont apportés à une narration qui ne...

Par

le 2 oct. 2024

D'Est
Foolly
3

Critique de D'Est par Foolly

Je pense que ce dispositif et ce qui est montré est très pauvre. Le fait qu'il n'y ait ni les mots des participants (non-traduits pour les rares paroles prononcées) ni de mots ailleurs. Ni de mots...

le 29 sept. 2024

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

139 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11