Ceci, visible dès la première image, est une fontaine nécrophilique coulant d’un piano à queue, mais ceci n’est pas un film sur Dalí. Dalí l’homme, le peintre, sa vie, son œuvre, blablabla : pas question. Question de respect, de se libérer du besoin de «raconter», et d’envie de faire un non-biopic dans l’esprit lunaire de Dalí : il est là, l’hommage à lui. Lui qui échappait à tous les codes, lui le génie de la com, lui qui se mettait en scène, disait tout et son contraire, s’amusait de son image d’artiste égocentré et fou. Fou comme ce processus narratif que Dupieux déploie jusqu’à l’absurde et qui ferait s’enchevêtrer Buñuel avec Lynch avec Nolan, soit un film en boucle(s) et en rêve(s), en moult imbrications où Dalí nous échappe, tout le temps.
Temps ici répété, inversé, interminable (la scène du couloir, savoureuse), à travers lequel la figure de Dalí se meut, se dérobe et se multiplie par six. Six acteurs qui s’en donnent à cœur joie dans l’incarnation du maître (mention plus que spéciale à Édouard Baer et Jonathan Cohen), tour à tour iconoclaste, retenu, énervant, fascinant, vieux et jeune. Jeune d’ailleurs, elle l’est, Judith, journaliste ex-pharmacienne (mais tout le monde la prend pour une ex-boulangère) qui compte bien réussir à interviewer puis à réaliser un documentaire sur le Catalan le plus célèbre du monde (après Manuel Valls évidemment). Évidemment, rien ne va se passer comme prévu et Judith va avoir quelques difficultés à concrétiser son projet tant il paraît impossible de «saisir» Dalí.
Dalí qui, lui, se balade entre quotidien ordinaire, entrevues loufoques et angoisse de la mort comme se balade le spectateur (ou plutôt comme Dupieux balade le spectateur) dans une mise en abîme pas pesante, mais au contraire jubilatoire. Jubilatoire jusqu’à un certain point néanmoins. Néanmoins, oui, parce qu’on sent le potentiel d’une telle mécanique labyrinthique apte à, éventuellement, évoquer (s’approprier) l’univers cryptique et dédaléen de Dalí, mais que Dupieux ne pousse jamais hors de sa zone de confort, dans ses ultimes retranchements, et le film dès lors de donner l’impression d’une simple ébauche, de n’effleurer seulement son sujet et ses intentions, de ne pas oser vraiment jouer, décortiquer, recréer, tortiller les fantasmes et les représentations qu’il a (et que nous avons) de Dalí, sinon ses attributs les plus représentatifs, et c’est dommage. Dommage car c’est assez fantasque, tout cela, mais finalement très anecdotique, et surtout très frustrant.
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