Un clown triste
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le 26 mai 2015
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Comme quelques-uns ici, j'ai eu l'occasion de visionner ce film "à l'aveugle". Je pense qu'une bonne leçon à en tirer est que, même sans a priori préalable, on a tôt fait de ranger les films dans des cases.
Pour ce film, c'est la case "Sundance". Je l'y range avec d'autant plus de conviction que je n'ai, je crois, jamais vu de film Sundance. Pourtant, les ingrédients sont là : de la musique un peu cool, une famille avec plein de problèmes mais qui rayonne d'espoir quand même, des réflexions sur la pauvreté, l'ethnicité, le féminisme et l'éducation, un père avec un côté hippie inventeur fou, et même des bagnoles vintage, le tout basé sur une histoire vraie (à ce que j'ai compris).
Je pourrais me contenter de dire que c'est cliché, mais déjà, ça ne l'est pas tout à fait. D’abord, parce qu’on traite de choix difficiles sans que l’on sache forcément si ce sont les bons. Ensuite, je pense que c’est essentiellement dû au traitement du sujet qui, bien que partant lourdement chargé, se fait sans excès. Les évènements ne sont pas dramatisés à l’extrême, la mise en scène reste légère hormis dans quelques passages où elle vise à renforcer un effet comique. Dans l’ensemble, les personnages restent plutôt crédibles, sans s’attarder grossièrement sur leurs états d’âme.
L’humour, même, est plutôt fin. C’est un humour contextualisé qui sait, sans tomber dans le comique de situation, nous renvoyer à des situations, vécues ou facilement imaginables, et à nos propres réactions lorsque nous y sommes confrontés. Ni tout à fait construites par les personnages, ni totalement subies par eux, ces scènes nous rappellent nous-même, dans ces moments où l’on se sent un peu awkward, et où nous agissons, histoire de nous donner une contenance, d’une manière que l’on croit nous être propre. Busted !
Maintenant, il y a un élément que je souhaiterais approfondir dans ce film : celui des troubles psychologiques. Puisque nous sommes face à un héros bipolaire, que le titre même le mentionne, il faut bien en parler ! Dans l’ensemble, je trouve que la tonalité de ce thème est cohérente avec le reste du film : on reste dans le modéré, ni trop tragique, ni trop optimiste. Peut-être un peu plus optimiste qu’il ne le faudrait à y réfléchir, mais après tout, il s’agit là d’un film qui vise à nous attendrir, non à nous massacrer le moral à grands coups de batte cloutée. Et puis, tout le monde n’est pas non plus un cas désespéré et, sans parler de se sortir totalement d’une maladie psychologique (ce n’est d’ailleurs pas le cas ici), il y a des gens qui vivent à peu près « bien » avec (notons tout de même ici que c’est une notion relative).
J’en parle parce que c’est un sujet qui me touche personnellement. Et on remarque que les gens souffrant de ce genre de troubles sont souvent représentés selon l’un des trois clichés : personnage comique absurde (Monk), personnage perdu aux yeux du monde pour lequel on lutte désespérément (Mommy, Mr. Nobody…), héros torturé (exemples sans nombre). Honnêtement, je n’arrive pas à savoir quel exemple met le plus à mal la réalité, inflige le plus de préjugés blessants aux personnes souffrant de ce genre de troubles. Avoir l’air drôle et dérisoire, marginal et impuissant, ou cool et badass ?
A mon humble avis, ce film trouve un équilibre pas trop dégueulasse. Le héros y est drôle mais pas dérisoire, marginal mais pas impuissant, cool mais pas badass. On est, bien sûr, loin de la perfection dans le traitement de ce sujet, mais je crois que ce n’est pas vraiment l’objet. Et justement, c’est ça qui fait du bien. Même si le film présente cette problématique comme son thème principal, en fin de compte, on se rend compte que la bipolarité du personnage est plutôt secondaire, dans l’histoire qui est celle d’un père de famille. La bipolarité intervient, bien sûr, mais on se centre plutôt sur l’humain. C’est ce qui fait que justement, l’on peut s’y connecter. Nul besoin d’être maniaco-dépressif pour avoir la flemme de déballer des cartons ou de faire la vaisselle : on ne me prescrit pas de lithium, et pourtant je suis encore moins capable que le héros.
Alors bien sûr, quand il s’agit malgré tout d’évoquer la maladie, on la montre surtout sous son côté « cool ». Les moments de manie sont présentés comme des périodes d’exaltation, de productivité et d’imagination plus que d’irritabilité. Les moments de dépression, bien que présents, sont la plupart du temps atténués par le second degré. Il faut bien être conscient que c’est justement cette alternance qui permet de rendre le film attendrissant, et ceux qui ne connaissent que le spectre dépressif, ou qui en ordre général sont plus gravement atteints, ne font malheureusement pas un sujet aussi « sympa ». Mais il faut bien choisir un héros, et puisque chaque malade est différent, celui-ci est aussi valable qu’un autre.
Et puis, j’insiste là-dessus, ce film n’a, je crois, pas la prétention, ni même l’ambition d’être un discours sur la maladie mentale. Je pense qu’il s’agit surtout de raconter une enfance, vécue comme heureuse, marquée par le personnage d’un père assez perturbé, mais globalement capable. Tous les enfants ayant un parent atteint de troubles psychologiques n’auront pas la chance d’en retirer du positif, certains mêmes resteront à jamais incapables de pardonner. C’est donc une note d’espoir réaliste et bienvenue, qui ne doit pas pour autant être vécue comme une facilité ou comme une discréditation vis-à-vis de ceux qui sont vraiment incapables de sortir la tête de l’eau. Juste en retirer la poésie, parce qu’après tout, ce n’est qu’un film. Un film fait pour nous sentir bien.
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Créée
le 27 mai 2015
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