Suicide kings.Encore un biopic,donc,en l'occurrence celui de Iolanda Gigliotti,alias Dalida,qui fut une immense vedette de la chanson française des années 50 jusqu'aux eighties.C'est Lisa Azuelos,réalisatrice,coscénariste et coproductrice du film,qui s'y colle,faisant pour l'occasion preuve de plus d'ambition que dans ses bluettes habituelles.Mais celui qui a impulsé le projet est plutôt Orlando,le frère de la star,qui coproduit et coécrit ce montage franco-italien dans lequel interviennent aussi Jérôme Seydoux et la RAI.Ce garçon a toujours vécu aux crochets de sa soeur et on se demande ce qu'il aurait fait si sa frangine n'avait pas réussi dans le show-business.Rien d'étonnant par conséquent à ce qu'il continue à exploiter Dalida même après sa mort,mais il faut reconnaître qu'il s'est toujours montré un producteur avisé,gérant au mieux la carrière de la chanteuse et celles de quelques autres.Le parti-pris des auteurs est de se concentrer sur la vie privée catastrophique de Iolanda,ce qui aboutit à une oeuvre éminemment sombre et démoralisante épousant l'état dépressif du personnage.En résulte une impression un peu bizarre car on ne voit presque jamais l'artiste au travail.On ne saura pas avec qui elle collaborait,quelle était son implication personnelle,comment elle choisissait ses chansons,comment se passaient les répétitions,quels étaient ses rapports avec les musiciens,bref rien de ce qu'on voit généralement dans les biographies de chanteurs.Dalida apparait du coup comme une marionnette,un jouet soumis à des hommes qui décident pour elle.Il est vrai qu'au-delà d'une belle voix et d'une bonne technique de chant,son répertoire est peu convaincant,sentiment renforcé par la sélection de titres, trop longuement diffusés,qui traversent le film et consistent très souvent en de simples reprises.On entend "J'attendrai","Bésame mucho","Come prima","Nights in white satin","Bang bang","Je suis malade","Avec le temps",autant de hits créés par d'autres artistes.Mais le sujet ne se situe pas là,Azuelos et Orlando préférant construire un mélo déprimant relatant l'existence de la star sur le mode "rien que du malheur".Les ennuis débutent dès la naissance avec cette maladie des yeux qui obligent le nourrisson à passer ses premiers mois avec un bandeau sur les mirettes,et se poursuivent quand son père,un brave violoniste italien émigré au Caire,on voyageait alors dans ce sens-là,est arrêté par les forces alliées durant la Seconde Guerre Mondiale,tout ressortissant rital,fût-il parfaitement inoffensif,étant considéré comme un dangereux fasciste.Après,ça s'arrange un peu.Dalida devient une belle jeune femme et tourne quelques films avant d'être élue Miss Egypte en 54.Dans la foulée,elle part à Paris où elle entame une carrière de chanteuse qui va vite décoller sous l'impulsion de Lucien Morisse,le directeur d'Europe1,séduit autant par ses courbes que par sa voix.Ils vivent ensemble,les succès s'enchaînent,mais la nature dépressive de Iolanda prend le dessus.Epuisée par les tournées,frustrée de ne pouvoir accéder à une vie de couple normale et de ne pas avoir d'enfant,elle se détache peu à peu d'un Morisse qui la presse comme un citron car il ne pense qu'à sa carrière.Elle le quitte juste après leur mariage pour un bellâtre nommé Jean Sobieski,le père de Leelee,qui sera brièvement acteur avant de réussir en tant que peintre.Le succès perdure mais les choses se gâtent sérieusement quand Dalida accepte de parrainer un chanteur italien,Luigi Tenco,pour le festival de San Remo.C'est le coup de foudre,d'autant que Iolanda,une inculte regrettant de ne pas avoir fait d'études,est bluffée par la culture de ce mec atypique dans le milieu du showbiz qui lui cause poésie et philosophie.Mais il se suicide,dans des circonstances qui restent douteuses d'ailleurs,le soir même du festival,ce qui enfonce la chanteuse plus profondément encore dans la dépression.Elle tombe ensuite amoureuse d'un étudiant qui la met enceinte mais,le gars étant beaucoup plus jeune qu'elle,elle décide d'avorter,ce qui lui flinguera les trompes et sonnera le glas de son rêve d'être mère.Et puis Lucien Morisse,à qui elle restait très attachée,se suicide à son tour.Elle tente de se supprimer mais se loupe et part se ressourcer dans un ashram en Inde.On le voit,il y a de quoi faire avec cette existence quasiment schizophrénique.Côté soleil,on a Dalida,star adulée qui aime son métier et que le public vénère.Côté ombre,c'est Iolanda qui broie du noir,trouve sa célébrité excessive,se sent nulle intellectuellement,pleure l'absence d'enfant et le désert de sa vie affective et ne sait pas ce qu'elle veut,perdue au milieu d'un tourbillon qui dépasse cette brave fille pas très fufute.Elle est mûre pour gober toutes les arnaques gauchistes et,après le communiste Tenco,aura des fréquentations pires encore,copinant avec des socialos comme Pascal Sevran,qui lui a écrit le superbe "Il venait d'avoir 18 ans",ou François Mitterrand.Mais la chute ne s'arrête pas là car elle est prise dans les filets de l'escroc Richard Chanfray,un affabulateur qui se fait appeler le Comte de Saint-Germain et se prétend alchimiste.Ce branleur parviendra à se faire entretenir par sa conquête pendant plusieurs années tout en lui menant la vie dure.Elle finira quand même par le jeter et,pour pas changer,il se suicidera en 83,avant que la chanteuse ne l'imite en 87.Tous ces évènements sont relativement connus,mais de manière superficielle,et ont été en partie oubliés au fil du temps.L'intérêt de ce genre de film est de les préciser et de nous faire visiter l'envers du décor,de voir les choses telles qu'elles se sont réellement passées,même si tout n'est pas entièrement conforme à la vérité.Le suicide de Chanfray par exemple,ou l'agression à l'arme à feu qu'il a commise,ne furent pas exactement identiques à ce qui est montré.La construction du film est par ailleurs souvent maladroite,ce qui est flagrant dans les scènes où divers protagonistes se confient à un psychiatre,lançant ainsi des flashbacks très artificiellement.Les séquences de l'enfance en Egypte,outrancières et surjouées,sont totalement ratées.On pouvait craindre le pire avec la présence dans le rôle-titre de l'italienne Sveva Alviti,un mannequin qui n'était ni actrice ni chanteuse ni danseuse.La donzelle,au-delà d'une évidente ressemblance avec son modèle, s'en sort pourtant très bien et fait corps avec Dalida de façon convaincante.On a eu chaud car c'est cette brêle de Nadia Farès qui était pressentie au départ.La distribution franco-italienne se comporte brillamment.Elle est il est vrai composée d'acteurs particulièrement solides.Jean-Paul Rouve confère une belle humanité à son Lucien Morisse et Riccardo Scamarcio sait exprimer à travers Bruno Gigliotti,alias Orlando,cette affection sincère mâtinée d'intérêt financier que l'homme éprouvait pour sa soeur.Niels Schneider est très classe en Sobieski alors que Patrick Timsit et Vincent Pérez,qui jouent Bruno Coquatrix et Eddie Barclay,savent donner de la sensibilité à leurs personnages de vieux routiers du showbiz en apparence cyniques et pragmatiques.Nicolas Duvauchelle est saisissant en Chanfray borderline,à la fois veule et inquiétant,toujours prêt à exploser.Laurent Bateau,un de nos seconds couteaux de luxe,parvient à exister en dépit d'un rôle dispensable. Brenno Placido,fils de Michele,est par contre inexistant en amant trop jeune.A noter une minuscule apparition de Guillaume Carcaud,connu pour la série de travelos "Samantha oups!" dans laquelle il incarnait Chantal,dite Pepess,au côté de David Strajmayster qui était Doudi.

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le 4 août 2020

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