Un nom en haut d'une liste, un nom au pied d'une statuette

Je ne suis finalement qu'un cinéphile à la petite semaine. L'escroquerie qui se cache derrière le masque ne pouvait pas durer éternellement. Si vous en doutiez encore, je vais vous avouer (bien obligé pour le reste de mon avis) que tout ce que je connaissais de Dalton Trumbo, c'est des scénarios, ses plus célèbres certainement, et le fait qu'il figurait sur la liste noire du McCarthysme. Mais c'était surtout Johnny S'en Va-t-en Guerre, film que j'admire profondément et le seul qu'il ait réalisé.


Aller voir Dalton Trumbo était dès lors l'occasion idéale de combler un petit peu le vide de mon ignorance. Jay Roach fait le choix de se focaliser sur la période de sa vie la plus troublée et, par l'intermédiaire de son personnage titre, de mettre en peinture le portrait d'une Amérique conservatrice qui se lance dans une avide chasse aux sorcières. C'est aussi une description de l'industrie du cinéma, supposée être dans les mains des juifs et infiltrée par la vermine rouge. Ils sont partout, disent-ils sans modération. Et la politique se pique soudain d'un contrôle artistique, d'une interdiction d'exercice, d'une mise au ban pour traquer une idéologie et la juguler.


Trumbo, lui, joue au rebelle du haut de son contrat mirifique qui en fait le scénariste le plus coté d'Hollywood, et milite sans se cacher. Il est plus facile de prendre le parti du plus faible quand on est à l'abri du besoin, que l'on participe aux cocktails et que l'on refait le monde dans des salons pavés de toiles de maîtres. Ce ne sera pas la seule des contradictions de ce personnage multiple qui en est pétri. Il offre un écrin de choix à son interprète principal, Bryan Cranston, qui est presque de chaque plan. La performance donne l'impression qu'il joue sans réellement y toucher. Il bénéficie aussi d'un film qui n'est jamais aussi intéressant que quand il aborde le média cinéma et ses arcanes, ou qu'il l'entremêle avec la politique et la paranoïa d'une époque pas si révolue que cela. Jay Roach y fait évoluer des serpents, tels une Helen Mirren glaçante ou un Michael Stuhlbarg salaud malgré lui qui ne recherche que sa survie tout en donnant un baiser de Judas froid et opportuniste.


Dalton Trumbo donne à apprécier de la vie de son personnage qui évolue dans l'ombre, qui continue à écrire des scénarios sous des noms d'emprunt, qui bosse à l'écriture dans des boîtes de production de seconde zone, qui continue d'agiter la plume de son talent tout terrain et qui poursuit le récolte des honneurs de manière anonyme en voyant les prix soulevés par d'autres mains que les siennes. Son idéal politique s'efface pour que le personnage puisse courir après l'argent qui permet, mine de rien, de survivre, et cultiver un narcissisme dévorant. Le film est révélateur de l'esprit de son personnage, mettant toute sa famille au service de sa machine à écrire, au point de mettre sur pied une véritable petite entreprise anonyme d'écriture et de livraison de scénarios qui prend de plus en plus d'ampleur. Le film se révèle donc une véritable mine d'or informative, tant sur le personnage que sur son époque, dessinée entre extraits radiophoniques et télévisuels, reconstitutions d'audiences publiques et morceaux de films emblématiques projetés.


Il est d'autant plus dommage que Dalton Trumbo cède à la facilité en greffant à son propos les récurrences des répercussions du comportement de son personnage sur son environnement. Avec tout ce que cela comporte de passages obligés et parfois lourds de disputes posées et de séquences larmes entre le père et sa fille aînée, sans compter la tyrannie de l'égo, alors que le genre du biopic ne cesse de rabâcher que le poids du talent ou de la forte personnalité nuit constamment à l'équilibre de la cellule familiale. Le film aurait gagné à mettre en sourdine cette thématique, tant celles qu'il aborde déjà sont riches et intéressantes. Il n'est pas anodin de relever, d'ailleurs, que le long métrage de Jay Roach rebondit instantanément dès qu'il met en scène les apparitions de Kirk Douglas et d'Otto Preminger, pile au moment où le cinéma reprend ses droits, où ses coulisses sont à nouveau esquissées et explorées.


Là réside le principal défaut de ce Dalton Trumbo qui piétine parfois, qui devient longuet par instants, sans pour autant que cela nuise réellement à l'intérêt du spectateur. Même si le film se permet quelque manichéisme dans la mise en scène du camp d'en face et de John Wayne, même s'il se termine sur un discours assez lénifiant et soulève un certain regret dans son générique final. Car Jay Roach décide de l'agrémenter de quelques images d'archives d'une interview du véritable Dalton. Qui évoque le poids du secret qui pesait, dès ses trois ans, sur les épaules de sa fille aînée, révélant qu'elle hésitait à répondre quand on l'interrogeait sur la profession de son père. Et le spectateur de rêver d'une unique scène qui aurait pu illustrer l'intégralité de l'aspect familial de l'oeuvre, concis, en une séquence agitée du silence gêné de la petite fille du scénariste alors que sa maîtresse l'interroge sur le métier de son illustre papa.


On ne peut hélas être parfait sur toute la ligne.


Behind_the_Mask, qui martyrise les touches de sa machine à écrire.

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le 19 mai 2016

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