La filmographie de Sidney Lumet, d’une remarquable cohérence, restitue avec exactitude et intelligence, si l’on venait à mettre ses films bout à bout voire à les emboîter les uns dans les autres, la naissance d’une culpabilité et d’un statut de hors-la-loi au sein de la famille, conduisant au jugement par la société et devant les tribunaux. Daniel en est peut-être l’exemple le plus éloquent tant la structure de son récit fait cohabiter un passé placé sous le signe des tensions politiques qui déchaînent New York et des abandons successifs que celles-ci occasionnent dans la famille Isaacson, et un présent marqué quant à lui par l’incompréhension et la quête de vérité, avec entre les deux un procès absent. La famille, en effet, apparaît comme une zone de turbulences apte à restituer les agitations sociales.
Les différents jugements rendus sont communiqués au personnage principal – et au spectateur par la même occasion – de façon morcelée et contradictoire, de sorte à générer une suspicion générale à l’égard des paroles et des actes. Cette confusion découle de mouvements de contestation du gouvernement américain qui animent les rues et les parcs, rendant confuses les revendications par trop-plein ; la sœur Rochelle, psychologiquement instable, symbolise l’imprécision du déchaînement idéologique qui prend l’aspect d’une masse uniforme : versatile, elle se rallie aveuglement aux causes plébiscitées comme auparavant elle défendait la religion.
Lumet rend ainsi compte de la complexité des engagements et des voix qui révèle, en miroir, la complexité des enjeux politiques d’une époque marquée par la Guerre Froide, la paranoïa interétatique et la chasse aux sorcières. Il compose une œuvre riche et humaniste qui représente le délitement progressif mais inévitable d’une famille vécue, par Daniel, comme un arrachement et contre laquelle il se révolte en fondant lui-même un foyer ; une œuvre encadrée par des images de manifestations et d’exécutions capitales, une œuvre écartelée entre ses séquences de dialogue et d’autres quasi muettes, scandées par la musique de Bob James, qui traduisent à merveille la démarche d’exhumation de la vérité par la parole et de sauvetage de la mémoire familiale entreprise par Daniel. Il bénéficie enfin d’une interprétation magistrale.
Un grand film injustement méconnu.