Je reste intriguée par la raison qui fait qu’un film initialement intitulé THE DANISH GIRLdevient en salles en France DANISH GIRL. Le tarif à la lettre devait être élevé, sans doute.
1926, il fait beau à Copenhague. Einar Wegener est un peintre paysagiste en vue qui soutient son épouse Gerda afin que son travail de portraitiste soit reconnu. Une amie modèle s’absente et voilà que Gerda sollicite son mari pour passer une paire de bas, revêtir une robe afin qu’elle puisse achever son travail. Einar est troublé par la vue de ses jambes gainées de soie et par la douceur du tissu du vêtement sous son doigt. De ces sensations va naître un alter ego féminin Lili qui va se révéler avoir une existence à part entière.
Il s’agit d’un biopic dramatique, largement inspiré d’un roman de David Ebershoff sorti en 2001 qui prenait déjà des libertés avec l’histoire et le journal de Lili Elbe MAN INTO WOMAN. Le bébé est passé de main en main avant d’échouer devant la caméra de Tom Hooper. Le réalisateur est connu pour son travail à la télévision et au cinéma avec notamment ELIZABETH, LE DISCOURS D'UN ROI (Colin Firth – le film avait raflé 4 oscars en 2011 mais ne m’avait personnellement pas enthousiasmée) et LES MISÉRABLES. Dans la série sur la terrible reine vierge et dans le film où Wolverine joue Jean Valjean (remember), il avait d’ailleurs déjà dirigé l’acteur principal de DANISH GIRL : Eddie Redmayne. Son nom ne vous dit rien ? Alors vous êtes passéE à côté du biopic drama de l’an dernier UNE MERVEILLEUSE HISTOIRE DU TEMPS qui lissait et faisait une hagiographie du célèbre physicien théoricien et cosmologiste britannique Stephen Hawking touché par une sclérose latérale amyotrophique qui le paralyse physiquement sur son fauteuil devant son synthétiseur vocal. Redmayne métamorphosé décrochait un oscar du meilleur acteur en 2015. Ici beaucoup lui reprochent une tentative dite « à la Tom Hanks » de braquer le même oscar pour une 2e année consécutive. Oui mais voilà. Y a déjà Di Caprio sur le coup et lui, il la veut sa statuette !!
Intéressons-nous au reste de la distribution avant de revenir sur le personnage principal. Son épouse est un rôle qui a été proposé à de nombreuses actrices (on ne va pas s’emballer, ma source ici c’est Allociné hein) : Nicole Kidman, Charlize Théron, Gwyneth Paltrow, Uma Thurman, Marion Cotillard et Rachel Weisz ont été approchées et elles ont soit abandonné, soit carrément refusé le projet. Alicia Vikander a relevé le gant. Cette jeune suédoise a déjà un bon cv cinéma mais le grand public n’a jusqu’ici pas été marqué par cette actrice. Ce n’est pas LE 7E FILS qui aurait pu le faire mais ça pourrait changer avec notamment la sortie prochaine de films plus axés divertissement.
Le reste du casting est généreux mais pourtant pas amorti (sous-exploité est le mot) : Ben Whishaw (le jeune Q des James Bond avec Daniel Craig et bientôt… Freddie Mercury ?!? houla biopic disease), Amber Heard (que personnellement je n’avais plus vue depuis… Machete kills en 2013, mais c’est ma faute voyons, je n’ai pas vu Magic Mike XXL !) et Matthias Schoenaerts (dans un biopic de Poutine ? Nan, j’déconne ! Encore que… ?) connu heureusement plus pour son personnage principal de BULLHEAD que pour celui de DE ROUILLE ET D'OS…
Je tourne autour mais entamons le sujet. Parlons franchement, ce film ne semble pas apprécié par de nombreuses critiques. Abordant l’histoire (certes romancée, je vous l’ai dit) de la première femme trans à avoir été opérée lors d’une réassignation de genre en 1930, on voit ressortir les fantômes décomplexés d’une haine de l’autre, ambiance Manif pour tous. Je ne supporte plus de lire des chroniques ou d’en entendre audio ou vidéo dire qu’il s’agit de l’histoire d’un transexuel. Je pense qu’en 2016, il est temps de se sortir les doigts des orbites, des oreilles et d’ailleurs pour comprendre enfin qu’il n’existe pas qu’un seul modèle d’identité. Einar Wegener est effectivement né biologiquement homme mais son véritable genre était celui de Lili Elbe, nom que l’artiste a pris après avoir rencontré le docteur Magnus Hirshfeld, pionnier de la cause homosexuelle et trans, qui tentera plusieurs opérations d’ablations puis de greffes qui finiront par lui être fatales. En même temps, la médecine en 1930…
Le film n’est pas exempt de lourdeurs, de facilités scénaristiques et se repose sur une esthétique qui n’est pas sans rappeler des teintes cartes postales ou le tableau Les raboteurs de Gustav Caillebote. Mais peut-on réellement reprocher de voir figurer des éléments liés à l’histoire ? Les costumes d’époque des années folles à Copenhague puis surtout à Paris ! La peinture magnifique même si finalement l’art est mis de côté dans le film (Gerda en réalité exposera au Salon des refusés, le sujet n’est abordé qu’en éclair et pourtant le marché de l’art est passionnant mais pas le sujet ici). L’identité sexuelle est interrogée, celle du couple aussi. Car le film est à la fois pointé sur l’égocentrisme compréhensible (et tellement plus intéressant que celui de CAROL…) de la transformation de soi qui passe par des étapes troubles et excluantes. Oui Lili s’intéresse de près à son aspect, qu’il s’agisse de ses toilettes (« Suis-je assez belle ? » dit-elle dans le film) que de la quête de sa féminité physique. Ceci au détriment des sentiments de son épouse Gerda. Le biopic doit-il trahir ? Je me suis bcp posé la question. Le roman contemporain faisait de Gerda une femme homosexuelle qui s’accommodait très bien de l’identité de Lili, le film choisit de l’obliger à faire le deuil d’un époux passé, décédé dans la naissance de Lili. Je ne connais pas la réalité, mais elle semble avoir continué à peindre Lili jusqu’après sa mort. De là à dire qu’on aime un être et non une identité sexuelle, c’est un pas que je franchis allégrement.
On peut néanmoins regretter que le traitement de Gerda dans le film ne soit pas assez poussé, car après tout les proches aussi sont remis en question lorsqu’on prend la décision d’assumer une réassignation sexuelle. Pas vraiment au sens de responsabilités, mais parce que la vie ne s’arrête pas à ça. Notre identité est une partie de la complexité de nos vies. Alors sans doute Gerda aurait-elle mérité mieux que l’arrivée d’un Hans charpenté pour la consoler de la virilité perdue ? Maladroit.
On m’a souvent décrit dans la transition (je fais volontairement l’impasse sur la phase de travestissement, car je pense que c’est faute de moyens et je ne supporte plus de voir confondus transidentité et travestissement à travers des insultes cinglantes), une étape plus ou moins longue de narcissisme car après tout on fait connaissance avec soi-même pendant cette période. Et il est difficile de s’en distraire. Alors sans doute les proches sont-ils délaissés.
Alors malgré tout, j’ai aimé DANISH GIRL. Parce qu’un film qui fait râler les homophobes, les réacs, les coincés (du cul, bien sûr), les transphobes mal à l’aise et qui veulent davantage savoir ce qu’on a entre les jambes que ce qu’on a entre les deux oreilles, et bien il a d’emblée toute ma sympathie. Parce que la transidentité au cinéma, c’est pas toujours de la tarte hein : je me souviens avoir craqué devant BOYS DON’T CRY en 1999 quand Kimberly Pierce faisait tourner Hillary Swank devant sa caméra. J’ai bcp moins aimé quand Xavier Dolan demandait à Melvil Poupaud d’être sa LAURENCE ANYWAYS. Je ne parle même pas d’UNE NOUVELLE AMIE de François Ozon. Ou de TRANSAMERICA avec Felicity Huffman dont Allociné persiste à dire qu’il s’agit de l’histoire d’UN trans au lieu de dire d’une femme.
Bon et si je vous spoile (en même temps si vous cherchez Lili Elbe sur internet, vous le serez bien plus par sa biographie) en vous disant que son sort était funeste, le regard d’une partenaire de vie qui soutient l’être aimé jusqu’au bout malgré les difficultés (repensez donc à Laurence anyways), ça me touche. Et au lieu de crier à la course à l’oscar pour Redmayne qu’on accuse de ne chercher que la performance : s’il choisissait ses rôles pour la présence de compagnes fortes et loyales ?
Faudrait demander à Redmayne. Mais si ça se trouve, il foncerait sur un biopic Peter Falk/Columbo juste pour le plaisir de dire : « J’en parlerai à ma femme ! »