Je préviens d’emblée, je vais me faire des amiEs.
J’ai déjà taillé un costard à l’épouvantable Le Vide d’Adèle (hein ? quoi ? On me dit dans l’oreillette que C’est La Vie d’Adèle le véritable titre du film de Kéchiche ?). Acharnement diront certainEs, rigueur et exigence de qualité reconnaîtront d’autres.
La belle saison, c’est un projet. Catherine Corsini sa réalisatrice n’est pas une débutante. 10 longs métrages à son actif et 30 ans de cinéma. Je n’ai vu que La nouvelle Ève qui avait fait découvrir Karin Viard et La répétition qui m’avait fait vibrer devant Emmanuelle Béart et Pascale Bussières, engagées dans une relation malsaine cryptolesbienne. Lesbienne. Le mot en L est lâché. Mais je tiens à rectifier d’emblée. Les mœurs évoluent, les mentalités s’ouvrent ou se traînent. On avance et en même temps on se mange des manifestations haineuses en bleu et rose. Le cinéma n’est pas réputé pour être une exception. Je ne vous citerai pas de chiffres en vrac – je ne suis pas experte – mais les femmes dans la réalisation, le scénario (on me souffle : la politique. Mais on parle de cinéma là !), y en a pas bcp. Même au niveau des sujets, on nous a convaincu que l’universel est le masculin. Au passage, vous remarquerez que j’essaie de ne pas genrer mes chroniques et fait figurer aussi bien le masculin que le féminin. Avancer. Catherine Corsini et sa compagne, la productrice Elisabeth Perez avec qui elle travaille pour la première fois mais qui a déjà produit des courts et longs métrages d’anciens de la Femis (Solveig Anspach par exemple) ont fait le constat : où est Le secret de Brokeback mountain au féminin ? Les homosexualités masculines au cinéma sont bien représentées (même si elles seront toujours minoritaires par rapport au modèle classique hétérosexuel « papa, maman, la bonne et moi » oups), mais le cinéma traitant des altersexualités (ou sentimentalités, si comme moi vous dissociez) est assez marginal, identitaire et communautaire car il y a encore bcp de gens – producteurs ou spectateurs – qui pensent qu’on ne peut pas s’identifier à une personne homo si on est hétéro. Que penser du fait que ce sont souvent les mêmes qui pensent la même chose de la couleur de la peau… Alors c’est souvent un cinéma de niche. Heureusement il y a parfois des exceptions, quand des films parviennent à tous les publics. Mais ça m’oblige à vous renvoyer à Le vide d’Adèle donc échec.
La belle saison, c’est un casting. Cécile de France d’abord. Elle trouve là son 6e rôle de lesbienne au cinéma depuis son César du Meilleur Espoir Féminin pour L’auberge espagnole de Klapish. Voulue absolument par la réalisatrice, elle le lui rend bien. Solaire, fragile, capricieuse, son personnage à fort ego et à forts troubles marque le film. Adèle Haenel devait être du casting mais c’est finalement Izïa Higelin qui la remplace. Son physique next door est bienvenu mais je ne suis pas convaincue par son jeu, que ce soit ici ou dans Mauvaise fille (Salsa peut-être ? hahaha). Noémie Lvovsky vient compléter ce trio en campant une mère rurale, limousine quasi corse. Kévin Azaïs aussi, remarqué dans Les combattants aux côtés d’Adèle Haenel l’an dernier et à ne pas perdre de vue !
Le 2e casting, ce sont les lieux, les costumes, les accessoires. Le Paris des années 70, terrain du Mouvement de Libération des Femmes ou MLF dans les amphis post soixante-huitards, pantalons patte-d’eph’, cheveux longs libres et chemises bariolées, un peu trop pour moi à peine remise des années 80 de Bis de Dominique Farrugia. Et le Limousin. Les petites exploitations agricoles, le travail de ferme. Pas trop mal rendus, mais c’est surtout grâce à la lumineuse et réjouissante photographie de Jeanne Lapoirie, qui a travaillé avec Téchiné et Ozon. On n’a jamais eu autant envie d’aller passer un week-end dans la Creuse !
Je m’emballe comme d’habitude et je ne vous ai même pas dit quelle était l’histoire du film. En 1971, Delphine, fille d’agriculteurs, décide après une peine de cœur quand son amante se résout à se marier à un garçon du pays, de monter à Paris. Tout à son travail de bureaulière (bah oui, celleux qui travaillent dans les bureaux. Bureauliers), elle aide Carole, professeur d’espagnol, à se débarrasser d’un opportun qui n’a pas apprécié une blagounette de femmes du MLF : se faire mettre une main aux fesses. Elle se fait inviter aux réunions et actions non-mixtes et rapidement tombe amoureuse de sa nouvelle amie. Contre toute attente, la féministe en couple avec un millitant droit-de-l’hommiste plaque tout par amour pour elle lorsque le père de Delphine fait un accident vasculaire. Retour à la terre. Un été à la campagne.
Les prénoms des personnages principaux rendent hommage au travail de Delphine Seyrig, actrice, réalisatrice et militante féministe et à celui de Carole Roussopoulos, première vidéaste à avoir filmé les luttes des femmes et le premier défilé homosexuel en marge du rassemblement du 1er mai 1970.
Film au féminin, c’est à porter au crédit de La belle saison. Par contre « Qui trop embrasse, mal étreint ». De bonnes intentions ne font pas un bon film. Je pense aux soupirs de désespoir de mon collègue Gary Constant tentant un : « Au secours ! » devant ce film. Regard masculin ou féminin, pas d’amalgame. Catherine Corsini et sa co-scénariste Laurette Polmanss y ont certainement mis tout leur cœur et un peu d’autobiographie pour ce qui est de la réalisatrice, la direction d’acteurs, les dialogues ne marchent pas. C’est too much. Le féminisme tel qu’il est retranscris ici est enthousiaste et jovial, comme certaines femmes de l’époque le rapportent. Mais ça fait quand même parfois artificiel, voire téléfilm. Il ne faut pas trop taper sur la véracité historique, puisque de son propre aveu, Corsini a brodé. Ainsi elle a choisi d’accorder au MLF une action réalisée par le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire), la libération d’un ami homosexuel enfermé dans un hôpital psychiatrique par sa famille afin d’y être « soigné », comprenez rééduqué à cette bonne vieille hétérosexualité normative à coups d’électrochocs. La gégène, le savoir-faire français ! Mais tout ce gentil petit féminisme d’alors bien propret me fait penser qu’aujourd’hui, les médias ne donnent la parole qu’à un féminisme blanc bourgeois hétérocentré et sexophobe. Je ne suis pas hors sujet car au micro de France Musique, Corsini apparentait le féminisme des années 70 aux Femen. Ce faisant, elle a exclu les égalitaristes, bien qu’elle mette dans la bouche de Cécile de France un « On n’est pas contre les hommes, on est pour les femmes ! » bienvenu…
La femme dans les années 70, c’était pas de la tarte. Si 68 avait fait bouger des choses, ça a surtout bénéficié à l’univers masculin. L’invention de la pilule a-t-elle davantage libéré les femmes en leur offrant une sexualité ou en leur donnant la seule responsabilité de veiller à ce qu’il n’y ait pas de conséquences encombrantes à leurs relations avec les hommes ? Je dois accorder à Corsini de ne pas avoir occulté toute cette partie, allant même jusqu’à citer les féministes lesbiennes qui soutenaient les actions pro-pilules, le bashing des anti-avortements et ira même jusqu’à faire apparaître l’accès à l’avortement justement. Alors dans le Limousin, on nous montre bien qu’il faut trimer sans salaire, sans mutuelle, sans reconnaissance. Il faut se marier. La pérennisation d’une génération. On laisse les femmes piocher dans le salaire de leur mari, c’est déjà bien ! nous dit le film. Le soc est lourd et le mélodrame du film tient justement à la capacité à s’engager, se dégager, faire des choix. Mais les hommes ne sont pas là les antagonistes des femmes, plutôt leur protagoniste. Ça est mieux.
Vous vous demandez où est la charge ? Corsini avait envie d’un film d’amour lesbien. Je la comprends. Elle a voulu montrer la tendresse, l’amour entre femmes. Je la comprends. Elle a filmé la nudité de Cécile de France et d’Izïa Higelin. Je la compr…. Hein !?! Nan !!! Une scène d’amour, ok. Du nu, ok. Du poil, super ! Merci Cécile de France, ça fait du bien. Mais des mamours poites, des seins en gros plans (le seul mérite, le naturel de la différence de morphologie des deux actrices), des minauderies longues mais longues qui sont sensées traduire l’intimité. Mettez Love et Le vide d’Adèle à côté. Ça tend plus au niaiseux qu’au romantique.
Je sais à quel point je suis dure et j’aurais tellement aimé être solidaire. Mais je pense qu’une femme qui fait un truc bien ou qui foire, ça reste féministe. Anna Margarita Albelo dite La Chocha le disait l’an dernier au festival Désir Désirs alors qu’elle présentait son film Qui a peur de Vagina Wolf ? Il est difficile pour une femme de sortir un film. Quand la réalisatrice est lesbienne, c’est encore plus harassant. Si le sujet du film est l’homosexualité, ça devient péplum (sans jeu de mots). Il faudrait pouvoir vendre et voir des films qui parlent de femmes qui s’aiment sans forcément les foutre à poil dans le film. Pour moi ce sera un « rhabillez-vous, y a rien à voir ! », mais je sais que le public moins intransigeant en aura pour son argent.
Très bon article de Slate : http://www.slate.fr/story/105699/belle-saison-lesbiennes-cinema