Delphine (Izia Higelin) est débrouillarde, authentique, un peu garçon manqué, vient de la campagne et tente une trajectoire sur Paris. Elle fait la rencontre de Carole (Cécile de France), porte-parole d'un mouvement féministe et femme engagée. Nous sommes en 1971 et pour Delphine, c'est le coup de foudre. De retour toutes les deux à la ferme, leurs sentiments prendront le pas sur la raison, et entre jugements et isolement, la belle saison risque de se terminer plus tôt que prévu...
Sur fond de féminisme post soixante-huitard, La Belle Saison débute sur une entrée en matière très rapide ; le problème principal du film (le carcan familial et environnemental) est de suite posé, une femme en milieu rural doit se marier. Là où les romances lesbiennes font de la durée un de leurs chevaux de bataille, ici on privilégie la différence de culture, d'opinion, d'environnement et parfois même de valeurs à défaut d'une histoire sentimentale qui se créerait au fil des liens. En découvrant ce regroupement de jeunes femmes, l'héroïne se confronte à un monde qu'elle ne connaît pas, une perte de repères qui l'émancipe et répond à des questions qu'elle s'était toujours posées en silence. Dans sa campagne, les règles sont fixées d'avance et les dés pipés, elle trouve donc avec ces femmes une nouvelle façon d'exister : penser par soi-même et pour soi-même. Carole s'impose alors comme une icône, l'allégorie de sa liberté qu'elle n'a jamais vraiment cherchée mais qui devient vite une évidence.
Les scènes de nudité apparaissent crescendo, d'abord seule en s'habillant, puis petit à petit au détour d'une caresse, une poitrine, un corps puis un sexe. Une nudité importante qui tranche avec le poids des convenances. Les plans sont fugaces, les scènes s'attardent peu sur le côté charnel comme pouvaient l'être celles de La vie d'Adèle, plus sur l'aspect organique et libératoire. Ceci dit, La Belle Saison nous offre des peintures réalistes et colorées au naturel, lumineuses et lascives sans aucune vulgarité. L'antagonisme qui lie les deux femmes amoureuses se remarque dès lors que Delphine décide de rejoindre sa ferme. Elle doute sans cesse alors que Carole agit avec certitude. Elle pense toujours à l'avenir, Carole ne vit avec elle que pour le présent. Leur différence se traduit même dans la vie à la ferme, lorsque Carole prend tout à la rigolade alors que Delphine, en quelque sorte, joue toute sa vie pour une simple passion. En ces contradictions permanentes et sans cesse liées au regard extérieur et à leur propre regard sur leur couple, La Belle Saison casse un peu les codes de l'amour lesbien au cinéma car elle transcende la simple romance pour en faire une étape vers leur vie future, une espèce de transgression bénéfique à toutes les deux, ce qui va bien au-delà d'une découverte aiguë du même sexe que soi - pour voir. L'oeuvre de Catherine Corsini est plus un plaidoyer pour la femme et la beauté de son essence plus qu'une bleuette intense et passagère. Nous ne sommes pas dans une simple histoire d'amour homosexuelle (donc atypique, le schéma type des films lesbiens) qui tournerait au vinaigre, La Belle Saison raconte davantage l'affranchissement sous toutes ses formes, ce besoin de devenir quelqu'un. Evidemment, ça ne réinvente pas le genre, encore moins avec une fin aussi vite expédiée, mais c'est d'un naturel très salutaire.
Izia Higelin est une pure merveille de douceur, de sincérité et d'autorité à la fois, et apporte un supplément d'âme comme avait pu le faire Adèle Haenel dans Les Combattants. Ce désir viscéral de connaître, à un moment de sa vie, un grand choc pour passer à l'étape suivante. Une actrice qui m'interpelle pour chacun de ses rôles, qui me remue, qui me fais me déplacer au cinéma rien que pour ses prestations, c'est rare. Elle possède une franchise instinctive et innée qui tord le cœur. Ce n'est d'ailleurs pas la seule ressemblance avec ce film, puisque outre la photographie soignée et diaphane et la passion alimentée par une fusion presque ardente, on retrouve dans La Belle Saison Kevin Azaïs avec un petit rôle important néanmoins pour l'intrigue. Cécile de France est bonne sans pour autant donner une dimension spectaculaire à son rôle. Ce personnage de composition, qui ne lui correspondait peut-être pas en réalité, est tout de même bien tenu, flirtant souvent avec le fil rouge de l'excès. Elle est la personnification de l'indépendance de Delphine.
Ce drame sentimental est une agréable surprise quand on le saisit dans son ensemble et pour ce qu'il est, un amour comme une découverte de soi, peut-être égoïste, un passage vers un état de nirvana qui ne dure jamais vraiment, mais qui vaut la peine d'être vécu. C'était une belle saison pour s'aimer, non ?
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