La critique qui va suivre, et c'est triste de devoir encore le rappeler, ne représente que mon avis et uniquement mon avis. Les généralités que vous y trouverez font partie intégrante de mon point de vue et en aucun cas je prétends toucher du doigt une vérité universelle et indubitable. Je pèse donc chacun de mes mots.
Danish Girl, le film le plus paradoxal de ces six dernières années. Nous allons nous interroger, toi et moi, sur une idée tenace qui s'est emparée de moi pendant tout le film et qui fut une véritable explosion à la fin. Quelque chose que je n'ai encore jamais ressenti, aussi intensément, depuis le début des années 2010 - c'est dire à quel point ce film est spectaculaire. Dans le bon sens, j'en doute fortement. Le paradoxe est le suivant : 4, c'est ma note, elle ne changera guère et tend même à diminuer. Elle s'explique en grande partie par le duo d'acteurs. Pour le reste, nous y reviendrons plus tard. Tu me suis toujours ? Accroche-toi. Le duo d'acteurs est absolument exceptionnel. Mais ces deux prestations méritent 4, ni plus, ni moins.
De ma vie, et je me suis creusé la tête pour trouver d'autres exemples, je n'ai que très rarement vu un duo aussi puissant et linéaire dans la prestation et l'intensité qu'il offre au public. Eddie Redmayne, dans la lignée d'Une merveilleuse histoire du temps, est l'auteur d’un rôle de composition absolument hallucinant ; en jouant sur toutes les nuances, les sourires, les regards, une sensibilité qui transparaît de toutes parts, il atteint quasiment le sommet de sa carrière d'interprète, à 34 ans seulement. Alicia Vikander ne démérite pas non plus, et ce à aucun moment du film, car elle joue un rôle extrêmement compliqué, celui de la femme oubliée, de la femme qui s'oublie, de la femme forte aussi, conquérante, qui vit pour deux, qui aime pour deux, un rôle en or massif, un rôle qu'elle tient à la perfection - mais qui, nous le verrons également plus tard rappelle un peu trop celui de Felicity Jones dans Une merveilleuse histoire du temps, similitude frappante.
Alors comment expliquer que ce duo, si formidable et si talentueux soit-il, ne fonctionne pas ?
Tout simplement car il manque une base essentielle, fondamentale, absolument indispensable aux personnages de Tom Hooper : l'émotion. Je suis un grand émotif. J'ai déjà pleuré devant Desperate Housewives. Comment expliquer le fait de n'avoir eu aucun frisson, aucune amorce de larmes ni même un poil hérissé lors de Danish Girl ? Les deux acteurs réalisent pourtant, autant elle que lui, un truc totalement viscéral et démentiel, ils y laissent leurs tripes. Mais ça ne fonctionne pas. C'est un paradoxe total, mais pas inexplicable.
Eddie Redmayne, trop parfait pour être honnête ?
Je m'interroge sur l'acteur. Si je l'avais adoré sur Une merveilleuse histoire du temps, c'est aussi parce qu'il y avait une circonstance essentielle : je le découvrais alors. Le choc était cent fois plus important qu'à l'heure actuelle, celui de découvrir un interprète hors du commun. Il y avait aussi le fait que son rôle était plus passif qu'actif, dans la mesure où le destin frappait fort et douloureusement, sans qu'il puisse y faire grand chose. Ici, son personnage est actif, il est au coeur des événements, il est le coeur des événements, l'acteur doit tenir le film et ne pas le subir. Je trouve qu'Eddie Redmayne, qui est un acteur que j'aime beaucoup de par sa volonté de toujours tenter des paris, un véritable artiste, était plus, ici, dans la performance plutôt que dans l'authenticité. Certes, la performance ne déjoue pas forcément la sensibilité, mais elle est ici tellement prédominante que l'empathie est broyée par la "perfection" de la prestation. J'attends de cet acteur qu'il me surprenne par la brutalité, la violence d'une réplique ou d'une scène, plus que par un numéro de trapéziste-transformiste, qui était déjà le cas dans le très moyen Jupiter : Le Destin de l'univers.
Alicia Vikander évincée.
Paradoxal devient alors le génial personnage de la non moins géniale Alicia Vikander, qui semble tout écraser sur son passage tant son portrait de Femme semble marcher sur l'eau. Moins dans la performance pure et dure, plus aidée par un rôle multi-fonctions et moins intérieur, elle voit également la sensibilité qui devrait lui être créditée s'envoler au profit d'une apathie totale, une lente agonie qui fait perdre l'intérêt du spectateur, au fil des scènes. Elle tombe dans le ravin de l'ennui, alors qu'elle prouve, par A + B dans ce film, qu'elle est une actrice radicalement hors du commun. C'est une certitude. Je n'ai pas réussi à prouver, pour le moment, qu'il ne s'agissait que d'un problème de sensibilités communes. Alors quoi d'autre ?
Danish Girl et l'école buissonnière.
Il y a deux écoles. L'école Vinterberg, qui sait exactement où il va et à quel moment il veut tendre vers l'émotion pure, sans artifice, ou au contraire vers l'excès (justifié) de ressentis et de sentiments. La Chasse en est un très bon exemple, dans la mesure où je pense que Tom Hooper en aurait fait un film lambda car trop à côté de la plaque alors que Vinterberg trouve le ton juste à chaque fois, dans tous ses films et durant toutes les époques, car il sait parfaitement gérer la psychologie de ses personnages et les faire évoluer d'une part dans le cadre du film en tant qu'objet, d'autre part dans le cadre de l'environnement lié à l'histoire. La deuxième école est celle de Drake Doremus, qui, même si on ne l'apprécie pas, décide de jouer la carte de l'authenticité à 100%, ne se pose pas de questions dans l'utilisation de sa bande-son, il va à l'émotion la plus pure, la plus intacte, la plus universelle, en oubliant même parfois les aspects techniques et les contraintes que le cinéma exige(rait). Danish Girl va plus loin encore que ses deux écoles. Il sèche les cours et décide de tout mettre. De tout fourrer, de tout défoncer sur son passage. Vous aviez trouvé Une merveilleuse histoire du temps résolument trop pathos ? Ce n'est rien par rapport à Danish Girl, qui reprend la même trame scénaristique, la même force de frappe des deux personnages principaux (l'une victime de son mal-être/sort, l'autre qui tente de l'accompagner puis de s'accompagner soi-même). C'est du pareil au même, mais c'est un pistolet à billes contre une kalachnikov.
Trop de pathos tue le pathos.
Ainsi se retrouve-t-on avec toute la panoplie qu'un film classique sur la perte d'identité doit contenir, mais au degré encore au-dessus. Il y a les fameux jeux de miroir, constants dans le film. Il y a la profondeur de champ, plus ou moins grande en fonction des ressentis du personnage. Il y a le cadre, écrasant ou géant, le premier plan et le second plan. Il y a l'utilisation du décor et sa géométrie, où notre héros se retrouve engoncé dans des formes lisses dont il ne peut s'échapper. Il y a la musique, absolument partout et tout le temps, pour masquer les faiblesses de dialogues, il y a un dernier plan honteusement niais. Il y a trop d'éléments qui, pris séparément et dans le cadre d'un film, seraient tout à fait recevables, mais qui mis bout à bout durant deux heures forment un halo de négativité qui gangrène la sincérité que le film souhaite arborer. On se retrouve avec Danish Girl qui, voulant trop miser sur la perte de repère, le dédoublement, l'emprise de ses sens et la reconnaissance par le biais de tous les moyens possibles et imaginables que le cinéma permet, se vautre tragiquement dans un vulgaire pathos dénué de toute considération artistique. A vouloir trop en faire, la lourdeur du propos prend le pas sur le reste et annihile son objectif principal : mettre en lumière une cause qui, et il l'écrit lui-même à la fin du film, est la base fondatrice du mouvement transgenre.
Malgré des images léchées et deux acteurs monstrueusement talentueux, l'émotion ne pointe jamais le bout de son nez, ni par l'humain, ni par le cinéma et encore moins par la rencontre des deux. Je suis abasourdi par tant de talent et de désintérêt à la fois. Tout reste lisse, tout reste propre, et mon air est désinvolte, désenchanté, durant le générique qui me sauve d'une histoire avec l'Histoire ratée.
(Désolé pour les fautes, je corrige ça bientôt.)