Dans la cour, on fait ce qu’on peut pour que ça ressemble à ce à quoi doit ressembler une cour. Propre, dégagée, sans nuisance.
Le nouveau gardien arrivé il y a peu fait des efforts.
C’est vrai, on voit bien qu’il ne respire pas la joie de vivre. La quadra du quatrième m’a dit qu’elle l’avait entendu dire « Moi, récurer, ne pas penser et dormir, je tuerai pour ça ». Au début, j’étais un peu inquiète. Je me suis dit avec Colette, ma voisine, c’est pas un foyer de réinsertion, on des gens respectables. Alors oui, il est gros, il ne se rase pas, mais il dit bonjour, et on a bien vu qu’il essaie de répondre aux demandes des copropriétaires. Faut dire aussi, entre les vélos volés que le drogué du deuxième entrepose, le réfugié illuminé de l’Est qui tente de squatter avec son chien, il a bien du travail. J’ai l’impression qu’il sait pas dire non, ou plutôt qu’il a pas envie, qu’il laisse tout passer. Il boit, voire pire. Parfois, il sort pas de sa loge pendant 24 h et écrit sur un carton qu’il est malade. C’est gênant, ça fait vraiment très SDF.
Dans la cour, il y a le couple de retraités qui s’occupe du syndic. Lui, rien à dire, il est courtois. Elle, comment dire… Elle est bizarre. On voit bien que ça tourne pas rond. Elle s’occupe dans les associations, mais elle a toujours cette inquiétude fragile dans le regard. Au début, on la méprisait un peu, mais c’est vrai qu’elle est touchante. Son mari semble inquiet, elle a fait une fixation sur les fissures dans son appart, elle est persuadée que tout va s’écrouler. Si vous voulez mon avis, les fissures, c’est autre part qu’elles se situent, comme chez le gardien, tiens, ils font la paire tous les deux. Oh, rien de condamnable, je vous rassure, c’est juste qu’ils partagent leur insomnie et leur truc, là, la dépression je crois.
Mais on rigole bien de temps en temps, faut avouer. Vu d’en haut, leurs réunions foireuses ou le proprio du troisième obsédé par les bruits des chiens et qui aboie la nuit pour qu’ils lui répondent, ça fait de l’animation. Pendant une période, on se croyait un peu dans ces séries d’avant 20h à la télé, mais en vraiment drôle. Mais ça, c’était avant. On pensait pas que ça allait évoluer comme ça.
On connait jamais vraiment les gens, c’est moi qui vous le dis. J’aurais pas cru, je vous assure.
Ça me fait de la peine, toute cette histoire.
Mais bon, hein, c’est la vie, comme je dis souvent, on a déjà assez de soucis à la maison pour pas porter tous les malheurs de l’immeuble. C’est pas le gardien qui me contredira.