Dans la maison, c'est en quelque sorte le thriller "littéraire" et "hitchcockien" de François Ozon. C'est aussi l'adaptation de la pièce Le Garçon du dernier rang (El chico de la última fila) du dramaturge espagnol Juan Mayorga et le résultat final est étonnant (et très bon) ! Le film est très riche en niveaux de lecture et ne cesse de vous retourner le cerveau. François Ozon s'amuse à détourner les codes de la narration. On est littéralement projeté dans cette histoire, entre la réalité et la fiction.
Claude (Ernst Umhauer) est un jeune lycéen de seconde qui se veut être à la fois auteur, acteur et spectateur de sa propre histoire. Alors qu'il doit régulièrement rendre des écrits à son professeur de français Germain (Fabrice Luchini), ce qui devait être un banal sujet de rédaction devient un véritable duel psychologique entre les deux hommes. Le récit de Claude commence lorsqu'il se rend dans la maison de la famille Artole, pour donner des cours particuliers à Rapha (Bastien Ughetto) un camarade de classe qui a des difficultés en maths (et qui désire ardemment lui révéler son amour). Dans la maison, il décrit tout ce qu'il y voit, le quotidien assez banal de Rapha, ses parents (Emmanuelle Seigner et Denis Ménochet) et ses loisirs (principalement la NBA, une passion qu'il partage avec son père). Cette famille est en apparence simple et banale, mais c'est là où la magie du cinéma opère, dans le voyeurisme et la manipulation. Claude et Germain se retrouvent tous les jours pour discuter des travaux du jeune homme, jusqu'au jour où la réalité rattrape la fiction.
Réalité ou fiction ? C'est la question qu'on se pose en premier devant le film de François Ozon et dans tous les écrits littéraires de ces auteurs qui s'inspirent plus ou moins de leurs vécus. Germain se montre d'abord intrigué, puis il se passionne pour les écrits du jeune homme. François Ozon nous embarque dans une intrigue où l'on ne distingue plus ce qui existe en fait (ce qui est réel, actuel, donné comme tel à l’esprit) et l'imaginaire (une invention, une illusion ou une apparence). Le film s'avère être un très bel hommage à la littérature et à Alfred Hitchcock. Haletant de bout en bout, malsain par moment, François Ozon repousse les limites de la satire romanesque et peint un portrait sans concession du professeur et de son élève surdoué. Germain et sa femme (Kristin Scott Thomas), captivée elle aussi par les écrits de Claude, parlent-ils du roman ou de la vie du jeune homme ?En fait, ils sont comme nous, embarqués dans cette histoire aux accents malsains.
Tous les acteurs sont excellents, à commencer par les deux premiers rôles tenus par Fabrice Luchini et le jeune Ernst Umhauer. Pour une fois, Fabrice Luchini ne fait pas du Luchini et joue en toute sobriété ... bien que moi, j'adore quand il en fait des tonnes. Il se glisse à merveille dans la peau de ce professeur de français tourmenté par les écrit de son élève. Il le conseille et le façonne pour le conduire à la réussite, c'est à dire à devenir un écrivain, un domaine dans lequel lui a échoué. Peut-être bien aussi, qu'il l'aime. Quant au jeune Ernst Umhauer, il hérite d'un rôle pas facile, mais il s'en tire avec les honneurs. Claude est un personnage étonnant, celui du lycéen à la curiosité malsaine, voire sadique, qui a besoin d'une étrange inspiration pour écrire. Ernst Umhauer et son regard pénétrant est fabuleux dans son personnage de voyeur, à la limite de la perversité !
Il n'y a pas que Fabrice Luchini et le jeune Ernst Umhauer qui brillent, ils sont également entourés de seconds rôles remarquables. Kristin Scott Thomas est toujours aussi captivante (à la fois sensible et forte) dans le rôle de l'épouse également lectrice des écrit de Claude et presque complice de son mari. D'ailleurs, le couple Fabrice Luchini et Kristin Scott Thomas m'a beaucoup fait penser à Woody Allen et Diane Lane dans leur dynamique et dans les dialogues ciselés. Emmanuelle Seigner est très à l'aise en femme qui attire tous les regards (y compris celui de Claude) et Denis Ménochet en impose vraiment dans le rôle du mari plus fragile qu'il n'y parait. Mention spéciale à Yolande Moreau, très drôle dans le rôle des deux jumelles.
François Ozon alterne entre la fiction volontairement caricatural avec cette famille sentant le stéréotype à plein nez et la réalité plus âpre. Dans les écrits de Claude, ce n'est pas tant les personnages qui nous passionnent, que leurs poncifs qui remplissent une fonction dans le récit. C'est la construction d'une fiction à l'intérieur même du film, une sorte de mise en abîme avec le spectateur qui observe Claude et Claude qui lui-même observe les Artole, avec cette image assez troublante du jeune homme voulant partager l'intimité de cette famille. La mise en scène est de ce point de vue impeccable et contribue à cette impression de voyeurisme "malaisant". C'est un très bon film, voire même LE meilleur film de François Ozon.