Ozon mérite bien son nom. Il ose tout. Aucun de ses films ne ressemble à l'autre. A chacun son atmosphère particulière. Voisine du thriller ici, quand un lycéen développe un don pour l'écriture qui intrigue puis fascine son prof de français. Cet élève, en quelque sorte, rallume une flamme que Monsieur Germain croyait éteinte, à jamais perdue. Tel le sultan des Mille et Une Nuits, sa Shéhérazade l'emmène dans un récit étrangement réel, celui de l'intrusion dans une maison et une cellule familiale a priori bien sous tous rapports. Comme le professeur, le public est entraîné malgré lui et n'a qu'une idée : connaître la suite de l'histoire, rythmée par des "à suivre" intriguants.


Le lycéen a un visage d'ange, lui permettant d'avoir l'air inoffensif. Mais ses yeux bleus perçants voient tout. Et analysent. Rien ne lui échappe et il s'insinue peu à peu dans la vie quotidienne de la famille de son soi-disant meilleur ami. Sa plume aiguisée et acerbe dissèque, expose et donne en pâture à un Fabrice Luchini impeccable des morceaux de vie dérisoires et des obsessions juvéniles tournées vers celle qui pourrait être sa mère. L'enseignant, fasciné, le pousse et le corrige, influe sur l'oeuvre en gestation. Jusqu'à apparaître dans les plans servant pour Ozon à matérialiser les lignes du roman, comme un observateur au point de vue intime, agissant d'abord sur la scène qui s'écrit sous ses yeux. Puis au fur et à mesure du développement du scénario, son emprise s'étiole. L'élève s'émancipe du maître. Et la fiction contamine quant à elle la réalité et la vie du professeur.


Sous l'emprise de cette attraction malsaine, des trous de serrure offerts à son oeil, son couple se fissure à mesure que le corps étranger s'immisce dans l'intimité de la famille que le lycéen parasite et dans la maison dont il arpente les couloirs et espionne les habitants. Des scènes nocturnes révèlent la vraie nature, inquiétante et malsaine, du véritable maître du jeu. La beauté de son innocence de façade disparaît, trop content de signifier à son mentor que c'est lui qui tire les ficelles.


Si Fabrice Luchini est égal à lui-même : exalté et prolixe, c'est sa relation avec le jeune Ernst Umhauer qui fait tout le sel de ce film : trouble, étrange, vénéneuse. La manipulation est au coeur du récit, celle dont l'écrivain (et le cinéaste ?) doit faire preuve pour s'assurer l'écoute, l'attention et le goût de son public. La fascination opère et le film joue constamment avec la perception du spectateur de son élément perturbateur, ainsi que du degré d'attraction et de répulsion qu'il suscite tour à tour, parfois au coeur d'une même scène. C'est cela qui instille le malaise, car finalement, "il y a toujours un moyen d'entrer dans la maison"...


Behind_the_Mask, qui te regarde par le trou de la serrure.

Créée

le 14 juin 2015

Critique lue 1.2K fois

17 j'aime

9 commentaires

Behind_the_Mask

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

17
9

D'autres avis sur Dans la maison

Dans la maison
eloch
8

" Elle ne voulait plus imiter, elle voulait vivre "

Une avant-première parisienne, un soir, et cette phrase "Fabrice Luchini n'a pas pu venir, il a eu un contre-temps" et dès lors devant la sourde acclamation de la salle on se pose une question:...

le 9 oct. 2012

62 j'aime

Dans la maison
clairemouais
4

MAISONMAISONMAISONMAISONMAISONMAISONMAISONMAISON.

C'est pas fondamentalement mauvais. Mais ça veut pas non plus dire que c'est bon. L'idée de départ pourrait être plutôt sympa, l'histoire d'un élève de seconde qui écrit plutôt bien et remet à son...

le 18 oct. 2012

58 j'aime

9

Dans la maison
Electron
6

Il y a toujours un moyen d'entrer

François Ozon est un réalisateur intelligent qui commence à bien connaître son métier. J’ai vu Dans la maison en avant-première, sans le moindre a priori et j’ai passé une soirée agréable de...

le 9 oct. 2012

50 j'aime

8

Du même critique

Avengers: Infinity War
Behind_the_Mask
10

On s'était dit rendez vous dans dix ans...

Le succès tient à peu de choses, parfois. C'était il y a dix ans. Un réalisateur et un acteur charismatique, dont les traits ont servi de support dans les pages Marvel en version Ultimates. Un éclat...

le 25 avr. 2018

205 j'aime

54

Star Wars - Les Derniers Jedi
Behind_the_Mask
7

Mauvaise foi nocturne

˗ Dis Luke ! ˗ ... ˗ Hé ! Luke... ˗ ... ˗ Dis Luke, c'est quoi la Force ? ˗ TA GUEULE ! Laisse-moi tranquille ! ˗ Mais... Mais... Luke, je suis ton padawan ? ˗ Pfff... La Force. Vous commencez à tous...

le 13 déc. 2017

193 j'aime

39

Logan
Behind_the_Mask
8

Le vieil homme et l'enfant

Le corps ne suit plus. Il est haletant, en souffrance, cassé. Il reste parfois assommé, fourbu, sous les coups de ses adversaires. Chaque geste lui coûte et semble de plus en plus lourd. Ses plaies,...

le 2 mars 2017

186 j'aime

25