Alors que le bordélisme assourdissant de la campagne présidentielle a poussé le motto #Chirac2017 à émerger ça et là sur la toile, il est bon de se replonger dans le paradoxe politique qu'a incarné notre Jacques national pendant 40 ans.
Le documentaire de Karl Zéro et Michel Royer dresse à ce titre le portrait peut-être le plus fidèle au "mythe". Le parti pris humoristique n'entrave en rien la rigueur journalistique (et pourtant le doute est légitime quand on voit Didier Gustin et Eric Zemmour au générique). Bien au contraire. Zéro et Royer ont bien compris que le parcours de Chirac est intrinsèquement comique : le personnage, son attitude, sa conception du monde, son clientélisme permanent, son absence de convictions politiques, sa femme, sa chance, ses magouilles. Ne restait donc plus qu'à peaufiner l'introspection, à bâtir une psychanalyse du bonhomme pour décrypter les méthodes qui lui ont permis de prendre le pouvoir sans jamais rien en faire. Saupoudrez le tout d'une voix off finalement bien écrite et de quelques chansons de propagande politique qui donnent envie de se vacciner contre la nostalgie, et vous obtenez un film franchement tordant.
Tordant, oui, mais pas partial. Loin de la caricature guignolesque, le doc parvient à souligner tout ce qui a rendu le personnage profondément attachant auprès des Français et en particulier des éternels amoureux de la vieille France gaulliste. Il ment, il n'en fout pas une, il court les jupons, il détourne l'argent public, et pourtant on n'arrive presque pas à en vouloir à ce mec profondément humain, indécis, un peu beauf, charmeur, bienveillant, insouciant mais déterminé. L'image du grand-père national, du bon Gaulois sympathique, face au vide des idées, à l'absence de vision d'avenir.
Zéro et Royer ont fait un joli boulot avec l'impressionnant corpus d'archives à leur disposition, dont certaines très connues et parties pour le rester. Mises bout à bout, elles révèlent petit à petit un vrai héros de cinéma, quelque part entre Jacques Tati, Pierre Richard et Jean-Paul Belmondo. C'est la très grande force de ce film qui, tout en appuyant sur le cynisme profond de la politique française, nous rappelle pourquoi on s'est tous à un moment senti proche de cet incapable notoire.