Sans doute fatigué de pondre des drames chiants pour neurasthéniques masochistes, Robert Bresson s'est surpassé afin de nous offrir son ultime chef d'oeuvre, une parabole de science-fiction sous forme de dystopie modérée. Dans un univers parallèle où les sourires sont constitutionnellement prohibés, où les émotions sont passibles de la peine capitale, et où les acteurs sont tenus de lire leurs dialogues à la virgule près pour pas fâcher le réalisateur, une histoire d'argent ruine la vie d'un mec qui n'en avait pas (d'argent).


A partir de ce postulat a priori passionnant, Bresson tisse une lumineuse charge contre la vie, le cinéma et la joie sous toutes ses formes. Filmé avec l'énergie des mauvais jours, L'argent jette un éclairage proprement inouï sur l'existence infortunée de ces extraterrestres parisiens, condamnés malgré eux à parler sur un ton sempiternellement monocorde et à déployer des talents d'acteurs que ne jalouseraient probablement pas les figurants d'un nanar thaïlandais des années 70.


Parsemée d'éclairs de génie à même de chambouler vos convictions philosophiques, cette oeuvre fulgurante vous fera voir la vie d'un autre oeil. Comment en effet rester de marbre face à des sommets d'ésotérisme comme cette scène enivrante de naturel dans laquelle deux taulards, tout en savourant dignement un bon verre de Mercurochrome, font étalage de leur sagesse face aux méandres de l'existence et nous gratifient de cette maxime que n'aurait pas renié BHL : "On craint la mort parce qu'on aime la vie".


Bresson, comme il l'avoua en 1977 dans une interview accordée à Pif Magazine, ne jurait que par Aldo Maccione, les jours de pluie et les coussins péteurs. C'est donc tout naturellement qu'il réussit l'exploit majeur de nous faire rire d'un bout à l'autre tout en faisant mine de ne pas vouloir réaliser une comédie. Lui seul a eu le courage visionnaire de comprendre que le meilleur moyen de désopiler son auditoire résidait dans la capacité à se donner un air on ne peut plus sérieux. Plus qu'un chef d'oeuvre, L'argent constitue donc avant tout une magistrale leçon de pince-sans-rire-ni-pleurer-ni-rien-du-tout, et la plus fantastique expérience cinématographique de mort cérébrale jamais offerte à des gens qui n'ont rien fait de mal et voulaient juste voir un film.

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le 26 mars 2018

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