« Entrons dans le jardin, dans le jardin sauvage et foisonnant
Avant que je
L’avale
L’eau de la source a bruissé
Sur mes dents »
Visage rond, œil pétillant de malice derrière ses petites lunettes, la vieille dame au chapeau s’appelait Tokue : j’ai découvert Kirin Kiki dans Les Délices de Tokyo, et n’ai plus jamais oublié son regard radieux, posé, comme en adoration, sur la grâce neigeuse des cerisiers en fleurs.
Une cuisinière pas comme les autres, qui nous dispensait, outre la pâte exquise de ses dorayakis, une formidable leçon de vie.
Et je l’ai retrouvée, telle qu’en elle-même, au coeur de ce « Jardin qu’on dirait éternel » personnage attendrissant dans sa simplicité hiératique, offrande ultime de l’actrice japonaise à ce film doux et poétique, avant qu’elle ne tire discrètement sa révérence.
Cette fois, c’est tout un pan de la culture traditionnelle du Japon qui nous est révélé à travers Madame Takeda, laquelle officie, depuis des décennies, comme maître de thé, formant les jeunes filles à l’art de cette cérémonie, dont elle se fait l’humble prêtresse.
-Les filles, que diriez-vous de suivre les cours de thé ?
- Bonne idée!
Et c’est ainsi que les deux cousines, Noriko la timide, que l’on dit maladroite et peu déterminée et Michiko l’extravertie prompte à la nouveauté, libérées désormais de leurs études universitaires et indécises quant à la voie à prendre, vont accepter la suggestion de leurs parents et s’initier au rituel ancestral du thé auprès de « Takeda-sensaï »
Mues par la curiosité, les jeunes filles découvrent alors une femme simple, riche d’expérience et d’empathie, qui les accueille avec chaleur à Yokohama, dans sa petite maison traditionnelle, silhouette en kimono qui se meut, furtive et légère, calme et mesurée.
Le jardin, véritable havre de paix, où fleurs, oiseaux et insectes se répondent, semble bercé par le murmure incessant de l’eau qui sourd de la terre, puis coule et s’écoule, rythmant le temps qui passe au fil des jours et des saisons.
Mais la « route du thé » n’est pas un long fleuve tranquille, et compliqué va se révéler le parcours, aux yeux des jeunes filles et surtout de Noriko, la plus investie des deux, dans ce long et lent apprentissage de l’art ancestral du thé, enseigné par une maîtresse de cérémonie touchante et exigeante à la fois : Madame Takeda.
Du simple pliage d’une serviette au nombre de pas imposés ou aux gestes méticuleux exécutés par des mains « qui pensent », jour après jour, saison après saison, année après année, Noriko apprend la lenteur et la patience, se révélant pudiquement à nous, en voix off, dans l’exploration de plus en plus sensible de son moi intérieur.
Un accomplissement qui prendra du temps et que symbolise la devise, immuable entre toutes, répétée à l’envi par l’enseignante : « Chaque jour est un bon jour » et que Noriko va faire sienne, ayant intégré progressivement la signification zen à sa propre expérience de vie.
-Il y a des choses qui demandent du temps et ce sont celles qu’on parvient à comprendre petit à petit : j’y suis arrivée au bout de 24 ans de Thé ! S’exclame Noriko, devenue quarantenaire, qui de questionnements en interrogations s’est enfin trouvée.
Un lent processus, comparable à « une brise fraîche qui caresserait doucement les joues », nous rappelant d’ouvrir tous nos sens afin de vivre dans le présent et de chérir cette journée comme si c’était la dernière.
À l’instar d’Ozu et Naruse qui en ont si bien parlé dans leurs films -et je pense notamment au Repas, de ce dernier- souvenons-nous qu’il faut accepter pleinement chaque moment, faire sien chaque jour tel qu’il est : «Chaque jour, est un bon jour», quelle que soit notre perception, heureuse ou malheureuse, car on n’échappe pas à la réalité.
Kirin Kiki dans cet ultime rôle de maître de thé, illumine l’écran au côté de Haru Kuriko, sa jeune adepte : un dernier acte d’amour avant de quitter la scène et une belle méditation sur la vie dont il faut savourer chaque jour, déguster l’instant qui passe et cultiver en soi la lenteur et la patience tout en s’efforçant de comprendre la nature des choses.
«Nichi nichi kore kōnichi » : un film qui décrit la cérémonie du thé comme « un refuge pour femmes, un sanctuaire immaculé de calme et de quiétude », adapté d’un roman de l’auteure japonaise Noriko Morishita.
Grâce, beauté, subtilité et profondeur, infusant dans une infinie humilité : un bijou zen.