Madame Takeda est de celles qui ré-enchante le monde et sait écouter aussi bien les murmures du thé qui frémit que ceux du cœur des hommes. Tandis que le retour des beaux jours portent les habitants sur les plages de Yokohama ou dans les bars karaoké, elle fait le choix de la constance – «chaque journée est une belle journée», alors pourquoi chercher à combler l’existence par une frénésie trop humaine ? Son enseignement de l’art du thé lui a déjà beaucoup dit des soifs intérieures et de la manière de s’emplir, sans débordements, de cette matière chaude et savoureuse qu’on nomme aussi la vie. Et quel enseignement ! Captivant et hypnotique, il gorge d’importance tout ce qui pourrait ne pas en avoir. Ou en avoir trop, au point que l’analyse peut parfois prendre le dessus sur le lâcher-prise. La fluidité des gestes de Madame Takeda, du pliage d’une simple serviette à la finesse de ses pâtisseries, n’a ainsi pas d’équivalent. Sans parler de la fascination qu’exerce forcément la découverte d’un rituel riche et passionnant, dont la vieille dame fait don avec sagesse.
La cérémonie du thé n’est qu’un prétexte ou presque, lorsque le film rejoint la quête de la jeune Noriko pour chercher à comprendre le sens profond de sa vie. Sa cousine Michiko, elle, préfère foncer dans l’existence sans prendre le temps du recul. Elle rêve de voyages, d’amour, d’une famille à fonder, elle est le Japon d’aujourd’hui… Noriko admire cette insolence téméraire que sa timidité naturelle l’empêche d’appliquer. Sans idée du futur, elle se rend chaque samedi chez Madame Takeda pour apprendre le temps qui passe. Les saisons. S’inscrivant dans une tradition toute japonaise, elle apprivoise peu à peu le sentiment d’éternité, où le respect de soi et des autres communient. 24 ans plus tard, à l’heure du bilan, sa cousine Michiko, par son désir de modernité, n’a-t-elle pas reproduit un schéma autrement ancestral ? Noriko, elle, s’est vue capable de faire les mêmes choses, chaque année, de la même manière, petit à petit détachée de l’angoisse du quotidien. Est-ce maintenant que tout commence ?
Plus qu’un récit initiatique de transmission entre générations, ce film apprend à mettre des suppléments d’âme dans nos actes, pour atteindre à une plus grande liberté. Sa force est de rester aussi humble que l’enseignement de Madame Takeda. Les mouvements de la caméra, aériens, rejoignent ceux de la vieille dame dans une osmose douce et sensible. Au beau milieu de ce jardin, hors du temps, l’image de Kirin Kiki, aux yeux rieurs, semble immuable. Dans un jardin qu’on dirait éternel l’honore une dernière fois autant qu’il sublime nos petites existences. Il ne tient donc qu’à nous d’infuser le monde, d’y déployer nos saveurs. Et de déguster cette tasse de thé, revigorante !