Une certitude vacille.
Je demeure quelqu'un de peu séduit par le respect de la tradition pour la tradition, sans remise en question ni exploration des racines historiques de la tradition. Peu séduit par le principe même de tradition, en vérité.
Par ailleurs, je crois être plus attiré par les histoires portant grain de folie, les personnages hors de toute logique, et les sentiers jalonnés de périls et de surprises.
Mais cette certitude vacille devant ce film dont la passion contredit les miennes.
Soyons concrets, je n'écris ces considérations superflues que pour décider l'éventuel spectateur en proie aux mêmes doutes à la découverte de ce scénario dont les horizons alanguis sont une illusion.
Car ce Jardin qu'on dirait éternel est de ces oeuvres dont le spectaculaire sommeille dans le refus du spectaculaire, dont les pages sont nombreuses et vite tournées dans une paradoxale douceur. Les scènes s'enchaînent avec rythme et les touches de contemplatif ne s'attardent guère. Comme des gouttes de couleur échappées d'un pinceau. C'est un défilé heureux de modestes moments de grâce.
Car si les saisons se suivent et se ressemblent, les vies qu'elles abritent évoluent. C'est le mariage réussi de l'image somptueuse et du récit au long cours mais sans fracas. Pourtant, si les événements de la vie émaillent ce récit, il semble que son coeur batte en un autre endroit.
Il trouve sa grâce dans l'observation minutieuse d'un rituel dont la codification confine à l'obsessionnel, porté par l'étrange volonté d'accéder à une sorte de sacré dans le perfectionnement d'une activité des plus anodines : verser le thé.
Fallait-il du talent pour transmettre l'importance de cette pratique et pour outrepasser l'absurde qu'elle peut revêtir à des yeux non initiés !
Si la répétition inlassable sur la voie d'une maîtrise n'apporte aucune réponse spirituelle (le film ne cherche pas à tricher en embelissant le réconfort de la quête), elle permet à qui s'y consacre de tailler un chemin dans une forêt de doutes... et d'habiter les saisons qui se succèdent en posant la main sur un fil d'Ariane.
Je lis en ce moment un manga contant la vie du célèbre peintre connu sous le nom d'Hokusai, et son obsession non pas de rencontrer la reconnaissance ou la célébrité, ou d'accoucher d'une oeuvre impérissable, mais bien de trouver son style. L'accord avec son être.
Voilà la vraie leçon à tirer des leçons filmées de ce long-métrage; l'efficacité est illusoire. La vraie récréation, le grand plaisir, la sérénité, la recherche de l'absolu ne s'expriment pas même dans ce que les autres loueront de nos travaux. La joie dans toute pratique, dans tout art, se situe au delà de l'acte lui-même mais bien dans l'odyssée intérieure de l'être qui s'y abandonne...
Tout vient de soi. Et tout est en soi.