Comme ils sont étranges, les deux segments ouvrant et fermant ce récit. Ils semblent échappés d'une autre réalité, sans lien avec cette histoire (ils sont accompagnés de quelques visions du futur insérées ça et là dans le récit, qui ne parviennent pas à les raccrocher au fil de cette longue décadence).
Le début ouvre sur l'indicible, procédé classique pour amorcer un suspense, nous incitant à dénicher le non-dit dans chaque événement et non-événement d'une histoire qui débute paisiblement. Ne nous endormons pas sur l'apparente banalité des choses : tout finira bientôt dans la tragédie des tragédies.
Ou comment expliquer le fait-divers, et regarder derrière les quelques premières lignes ne donnant à voir que l'infinie tristesse du crime.
Mais c'est étrange, car je n'y ai pas exactement lu ça. Que Louise ne soit pas qui elle veut paraître, c'est indéniable. Pourtant, tout ce qu'on découvre ne fait pas d'elle celle qu'elle est devenue. Il manque encore quelques étapes et détours pour arriver au dénouement annoncé. Et rien ne s'éclaire à la lecture du pendant final de l'ouverture. L'ultime étape devient alors une fuite en avant, ou plutôt une sorte de cauchemar de ce qui pourrait devenir l'ultime étape. Cela me fait presque douter : le début et la fin ont-ils vraiment eu lieu ? Ce n'est pas inintéressant, d'ailleurs, mais les autres allusions à l'avenir émaillant le livre contredisent l'hypothèse.
Y a-t-il eu une crainte du simple récit psychologique ? Ai-je manqué des éléments capitaux, ou me suis-je mépris dessus ?
L'évocation des maladives sautes d'humeur (déjà entrevues pourtant) en fin de récit me paraît trop simple. D'ailleurs, le flou qui règnera jusqu'au bout sur le déroulé concret des assassinats donne une sensation d'incertitude de l'auteur plus que d'une volonté de mystère entretenu.
Mais après tout, de nombreux faits-divers semblables demeurent inexpliqués pour le passage à l'acte, et ne sont que partiellement éclairés par leur contexte.
Le tour de force de ce livre, c'est finalement le portrait de Louise. C'est là que naît le vrai suspense, c'est ce versant là qui ne cesse de gagner en intensité et en surprise. Commencé avec rien, une image parfaite et discrète que nous savons trompeuse, la rencontre avec cette femme est progressive, son passé se dévoile par petites touches, son comportement et ses pensées sont un abîme.
Face à des personnages auxquels on peine à s'attacher malgré l'empathie pour leur sort (trop effacés, trop justifiés et nuancés pour être dans le réel), les reliefs tourmentés de Louise, ses timidités et ses errances, son histoire chaotique et pourtant réaliste laissant de nombreuses zones d'ombre, sont fascinants. Peut-être aurais-je préféré ne pas savoir où ce grand désordre intérieur la mènerait, seulement le craindre...