Le crime n’a pas de visage. Depuis l’aube des temps, il fait partie de l’humanité, comme une sorte de plaie dont on ne peut se débarrasser. C’est un ennemi aussi imprévisible que rusé, qui prend un malin plaisir à torturer les esprits. Dans Dark Figure of Crime, le crime semble s’être de nouveau invité à une partie d’échecs malsaine.
En dépit de ma connaissance encore limitée du cinéma sud-coréen, j’ai pu me rendre compte, à quelques reprises déjà, à quel point les cinéastes du pays du matin calme savaient écrire et réaliser des polars et des thrillers captivants. On pensera forcément au grand classique Memories of Murder, de Bong Joon-ho, un polar désespéré et cynique, au fort ancrage historique, se nourrissant de son contexte pour dépasser le cadre de la simple affaire. L’angle d’attaque de Kim Tae-gyun, dans Dark Figure of Crime, est différent, cherchant davantage à pointer du doigt les failles du système judiciaire et les injustices qu’il peut provoquer.
La tournure que prend l’intrigue et l’enquête est assez intéressante et inattendue. L’identité du criminel est, ici, connue dès le départ. Ce n’est donc pas ce point qui nous intéresse, mais plus ses réelles motivations. Car l’homme annonce et se vante d’avoir tué non pas une, mais plusieurs personnes, et ce depuis des années, sans avoir été inquiété auparavant. L’inspecteur Kim Hyung-min est donc chargé de lever le voile sur ces affaires sordides, poussé par sa propre curiosité, et entraîné dans le jeu pervers de Kang Tae-oh, le criminel, qui l’envoie à la recherche des preuves des meurtres qu’il a commis. Un jeu d’autant plus malsain qu’il s’agit certes pour Kang d’un moyen de satisfaire son ego, mais, surtout, par un habile jeu avec les règles régies par la loi, de parvenir à se disculper de chacun d’entre eux grâce aux limites de la loi. Ainsi, dans Dark Figure of Crime, c’est un perfide jeu du chat et de la souris qui s’orchestre, où la souris et le chat ne sont pas ceux que l’on croit être.
Le réalisateur, choisissant ici d’adopter une réalisation très sobre, se veut le plus proche possible de la réalité, sachant que les faits ici relatés sont largement inspirés de faits réels. Son but est, donc, de dépasser le simple cadre de la fiction pour ancrer son film dans une réalité aux facettes sinistres et obscures. Il incarne ici le crime dans le personnage de Kang Tae-oh, un personnage somme toute ordinaire (malgré, bien sûr, sa jeunesse marquée par de terribles événements), dont les victimes n’ont eu comme seul malheur que de le croiser en de mauvaises circonstances. Dark Figure of Crime représente donc le crime comme une sorte d’entité fantomatique, qui ne fait aucune distinction, et qui n’aura de cesse de frapper, tout en raillant celles et ceux qui s’évertuent à le combattre tout au long de leur vie. Et, en face, l’inspecteur Kim représente la mémoire de ces victimes tuées dans l’ignorance totale, tombées dans l’oubli, qui n’existent plus que dans des piles de dossiers prenant la poussière dans des salles d’archives, condamnant les défunts à être effacés sous le sceau de la prescription.
Dark Figure of Crime est un polar efficace, qui tient sa force, entre autres, du talent de ses interprètes, et de sa capacité à jongler avec la complexité d’une affaire, sans jamais égarer le spectateur. Sans être forcément très original sur la forme, il propose une réflexion sur le système judiciaire coréen, et sur la nature du crime lui-même. Et même si ce dernier joue des tours, il faut le rappeler qu’aucun crime n’est parfait, et cela, même le grand Alfred Hitchcock le disait.