Dark Shadows par Wykydtron IV
Je ne m'étais pas du tout tenu au courant des activités récentes de Tim Burton, bien que j'aime beaucoup le cinéaste. En même temps, il faut dire que, comme beaucoup, il a trop de projets annoncés, moi j'avais surtout entendu parler de son remake de Frankenweenie (ce que je trouve absurde) et de son projet d'un film d'animation sur la famille Addams.
J'ai connu Dark shadows assez tôt néanmoins, parce qu'on l'a porté à ma connaissance sur Senscritique, sur ma liste "Merci Captain Obvious", où j'ai commenté un truc du genre "bientôt : wet water et hot fire".
J'étais loin de savoir que Dark shadows est à l'origine une sitcom des années 60 comptant plus de 1000 épisodes d'une quarantaine de minutes, ayant été diffusée quotidiennement. L'intégrale, avec les films en plus, a été sortie récemment en DVD. Je ne sais pas s'il y a beaucoup d'acheteurs.
D'ailleurs ça me rappelle que j'avais prévu de me mettre à la série, non pas tout mais quelques épisodes, avant de voir le film, par respect par rapport aux fans qui voient leur série transposée à l'écran, ce qui va avoir pour effet de faire venir en salles pleins d'incultes inconscients de ce qu'est Dark shadows à l'origine.
Bah j'ai été irrespectueux...
En tout cas, même si je ne savais rien de Dark shadows, j'étais intéressé, parce que c'est Burton, et que je trouvais intéressant de le voir changer de ce qu'il fait d'habitude (LOL !). Et j'étais un peu curieux en voyant le nom de Seth Grahame-Smith, auteur de "Orgueil et préjugés et zombies", scénariste sur ce film.
Contrairement à ce que j'aurais pu imaginer (ou fantasmer ?), ce n'est pas un équivalent à La famille Addams. Même si un des slogans sur les affiches est pompé sur celui du film de Barry Sonnenfeld.
Contrairement à ce que les bandes-annonces et spots TV faisaient penser, et qui me faisaient envie par ailleurs, le film n'est pas entièrement comique non plus, et on n'éclate pas de rire comme je m'y attendais (et d'ailleurs, la salle était certes peu remplie, mais mon camarade et moi étions pratiquement les seuls à rire du film, c'est fou).
Dark shadows démarre en se montrant tout à fait sérieux, en fait.
Mouvements de caméras amples, paysages et décors du 18ème siècle immenses et magistraux, esthétique soignée et très dark, avec vampire au look et aux mouvements à la Nosferatu très théâtraux. Tim Burton, qui a toujours rendu hommage aux films de la Hammer, crée ici ce qui n'aurait jamais été possible avec le budget des productions de cette société anglaise, ni sans l'aide du numérique, et concrétise un fantasme gothique. C'est complété par des références au Dracula de 1933, et la présence de Christopher Lee.
Le seul reproche que j'ai à faire par rapport à l'univers représenté, c'est que c'est tellement "bigger than life" que du coup on n'y croit pas, on sent qu'il y a une bonne dose de CGI, et même sur certains plans où l'on voit simplement un personnage devant un paysage, on dirait qu'il se trouve devant une découverte, comme si malgré tout le travail des technologies nouvelles n'avait pas fait avancer certaines choses dans le domaine du cinéma...
Toute cette classe gothique de l'introduction, elle est incarnée par le personnage de Barnabas Collins, et c'est très bien que Burton se soit appliqué à faire qu'il soit issu de cette première partie tout à fait sérieuse, car la rencontre entre Barnabas, avec ses bonnes manières et son langage soutenu, et les 70's est encore plus brutale pour lui, plus drôle pour nous.
La première phase de découverte de ce nouveau monde pour Barnabas est pleine d'idées énormes.
Plus tard, il y a aussi de quoi s'amuser avec ces petites critiques passant par la représentation caricaturale de certaines figures de la société : les hippies (no comment), et la psy elle-même névrosée, qui sort les pilules non pas pour son patient comme on aurait pu le penser, mais pour elle.
La comédie marche bien, même si je trouve des gags trop insistants, comme celui sur Alice Cooper qui doit revenir au moins 5 fois, et d'autres qui entravent une scène qui ne devrait pas être humoristique, comme lorsque Victoria déclare son amour à Barnabas et qu'il continue d'agir bizarrement.
J'ai trouvé amusant aussi tout simplement la façon de s'exprimer de Barnabas, quoique je pense que je me suis davantage marré parce que je me délectais de la correction de ce parler d'antan, c'était plaisant à entendre. Et le personnage a tout de même de ces expressions ou de ces menaces très imaginatives, toujours proférées dans un langage soutenu.
Je voyais Johnny Depp dire en interview que les 70's, c'était le summum du mauvais goût. Je ne suis pas d'accord avec lui (enfin, je les ai pas vécues non plus...), je trouve qu'il en ressort de bonnes choses, sans quoi Dark shadows ne s'en serait certainement pas inspiré pour son esthétique, et se serait déroulé à une autre époque.
J'aime la musique, en tout cas celle sélectionnée pour la BO, superbe. Il y a du Black sabbath, du Moody Blues, Alice Cooper, ... Ca faisait plaisir de retrouver ça dans le film. Il y a aussi la theme song de Superfly, ça m'a fait rire.
J'aime la représentation du côté psychédélique de l'époque aussi, même si au bout d'un moment je me suis dit que Burton abusait des couleurs flashy : les fontaines bleues et jaunes, les explosions roses, ... Enfin, ça va, c'est pas laid comme le sont les affiches du film.
C'est comme pour les mouvements à la grue, ces travellings immenses, Tim Burton est une star, il a les moyens, il ne se sent plus et en font un peu partout. Je ne nie pas par contre qu'il n'y a pas de beaux mouvements de caméras non plus. La façon dont est filmée la scène de sexe est vraiment bien, il y a l'idée que le sens dans lequel est tournée la caméra indique de quel côté de la pièce s'exerce la gravité pour les personnages. Il y a aussi un plan qui m'a vraiment marqué, celui où Chloë Moretz danse, sort du cadre, et y retourne par un travelling qui suit la ligne de ses bras. La synchronisation est superbe.
Pour un réalisateur chevronné comme Burton, je trouve qu'il y avait quand même quelques éléments étranges dans la mise en scène, que je considère comme des erreurs. Premièrement, le fait que dans une pièce gigantesque avec un écho énorme, on ait à l'arrière-plan un personnage que l'on entend parfaitement, tandis qu'au premier plan il y en a d'autres qui ne s'étonnent même pas de la présence de ce dernier, comme s'ils ne l'entendaient pas.
Deuxièmement, toute cette séquence où un personnage cache un couteau dans son dos, de la manière la plus suspecte possible, mais sans que l'autre personnage, celui visé, ne se doute de rien. La bizarrerie est atténuée un moment par des cadrages assez serrés qui ne montrent pas à quel point le bras cache visiblement quelque chose dans le dos du personnage, mais quand même...
Un autre truc qui me dérange chez Burton, mais là ce n'est pas seulement avec ce film, c'est qu'il s'inspire de films d'horreur pour livrer ses œuvres au grand public, mais en retire tout ce qui fait l' "horreur" justement.
Le film sent le PG-13 à des kilomètres à la ronde, mais ce n'est pas tant la restriction que se pose Burton qui me dérange, que le fait qu'on le ressent bien à certains moments, par l'usage du off, de la coupe précipitée, ...
La seule bonne chose qui en ressort dans ce film, comme à l'époque où la censure donnait des idées aux réalisateurs d'exprimer autrement ce qu'ils souhaitaient, c'est cette mort d'un des personnages signifiée par une poche de sang qui se vide. Admirable.
Bizarrement, le film se montre plus libre au niveau de la violence verbale. Chloë Moretz, déjà très en avance sur son âge dans 500 days of Summer et Kick-ass, sort pas mal d'injures comme d'habitude, en plus de jouer un personnage de pré-ado qui veut se montrer très sensuelle. C'est presque troublant.
Le film est même étonnamment osé pour un Burton, lors de tout cet échange sur les "balls".
Dernier reproche pour la route : on sent que le film est basé sur une sitcom, parce que le scénariste me donne l'impression d'avoir voulu développer chaque personnage de la même façon que dans la série, et on se retrouve ainsi avec pleins de sous-intrigues.
Pendant un certain moment, je trouvais que le film se débrouillait bien avec ça, se contentant d'une scène pour exprimer quelque chose sur un personnage par exemple.
Mais au final, on se retrouve avec pleins d'éléments à moitié développés, et des sous-intrigues abandonnées : le loup-garou, le père qui se barre, ... Même l'histoire d'amour qui devrait être au centre du récit est très peu développée. Les sentiments, les évolutions et comportements des personnages sont simplifiés, à force de vouloir aborder trop de sujets avec chacun d'eux.
C'est dommage.
Bon sinon j'étais satisfait.