Years and tears
Film dossier traditionnel sur lequel les américains ont coutume d’exercer leur efficacité, Dark Waters est déjà légitime quant à son sujet, à savoir la toxicité des produits fabriqués et vendus à...
le 26 févr. 2020
59 j'aime
6
Jusqu’au bout. Après nous avoir embarqué dans de flamboyants mélodrames, Todd Haynes change de registre avec son nouveau film Dark Waters, un thriller d’investigation sur l’affaire DuPont et le scandale du Téflon. Une reconversion gagnante pour une œuvre brillante en tout point.
Avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques, Robert Bilott va être interpellé par un paysan sur la supposée pollution générée par DuPont, un puissant groupe chimique et premier employeur en Virginie. Afin de lever le voile sur les agissements du groupe, Robert Bilott ira jusqu’au bout de ses convictions, quitte à mettre en branle sa carrière, sa famille et même sa propre vie…
La quête militante de Todd Haynes
De ce postulat de départ tiré d’une histoire vraie, Todd Haynes ne va pas déroger au cahier des charges du thriller d’investigation. Il va foncer, à corps perdu, dans l’obstination de son personnage et ainsi, nous raconter sa vision du monde libéral contemporain. Et spoiler : c’est pas joli-joli.
En 2012, Gus Van Sant réalisait Promised Land, un pamphlet contre l’exploitation du gaz de schiste. Un scénario proposé par Matt Damon dans lequel le cinéaste américain mettra son style et son cinéma subtilement en retrait pour un film de dénonciation juste et incarné. Avec Dark Waters, le cas de figure est similaire. C’est Mark Ruffalo, tête d’affiche du film, qui proposa à Todd Haynes de réaliser le film. Un choix étonnant lorsque l’on regarde la filmographie d’un cinéaste avide de mélodrames (Loin du paradis, Mildred Pierce, Carol) et de projets ambitieux et décalés (Velvet Goldmine, I’m not there). Pas pour l’intéressé, qui s’avérait être « un grand fan du cinéma de dénonciation », comprenez Klute, Les Hommes du Président, Révélations…
Le genre est surtout l’opportunité pour Todd Haynes de dévoiler une critique virulente du système libéral capitaliste à travers ses plus gros représentants, qui au nom d’intérêts économiques privés, n’a de cesse d’empoisonner les populations du monde entier, avec un cynisme des plus cliniques. On ne sait pas si Haynes s’identifie à son personnage mais il est certain qu’il y projette cette part de courage insensé et cette détermination au-delà de l’entendement. Un héros de l’ombre, aujourd’hui qui retrouve de la lumière.
« Dans Dark Waters, ce qui au départ se présente comme une contamination régionale et nationale de l’air et de l’eau se transforme en une contamination mondiale du système sanguin – marquant ainsi notre interdépendance en tant qu’habitants de la planète, sinon en tant que victimes des systèmes capitalistes et idéologiques. Mais dans cette épouvantable catastrophe provoquée par l’homme, nous sommes inéluctablement liés par un sort commun et c’est notre conscience de ce qui s’est passé qui nous lie les uns aux autres, comme Rob à Wilbur
[…] dans ce qui est à la fois un combat sans fin pour la justice et pour notre propre survie. » Todd Haynes
L’exigence formelle
Au même rang que ses récents et illustres prédécesseurs comme Spotlight ou Pentagon Papers, Todd Haynes livre un film tenu, abouti et extrêmement bien dosé dans lequel on retrouve l’exigence esthétique et formelle d’un cinéaste passionnant. L’enjeu est toujours de taille lorsque l’on aborde un genre très codifié, qui laisse peu de marge à l’innovation. Et rendre captivant une histoire s’étalant sur plusieurs décennies constituait une autre paire de manches.
Le cinéaste semble plus en retenue dans l’investissement artistique du film. On retrouve cependant cette obsession pour le cadre, toujours d’une grande justesse, ainsi que le travail méticuleux de la reconstitution. Le style Haynesien se trouve dans la minutie des détails : des coiffures aux tapisseries. Pour Dark Waters, le cinéaste américain a poursuivi sa collaboration avec le chef-opérateur Edward Lachman, qu’il retrouve après Loin du Paradis et Carol. La lumière, autre force du cinéma de Haynes, contribue à l’atmosphère froide et âpre d’un hiver américain. Elles mettent en valeur la nuance sur les couleurs grisâtres qui donnent du relief à ce récit classique, au sens noble du terme. Le résultat est saisissant. Une nouvelle histoire de David contre Goliath mais avec les temps qui courent, l’espoir est toujours le bienvenu.
Article à retrouver sur Le Mag du Ciné
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2020, Les meilleurs films avec Mark Ruffalo et Les meilleurs films de Todd Haynes
Créée
le 5 févr. 2020
Critique lue 661 fois
4 j'aime
D'autres avis sur Dark Waters
Film dossier traditionnel sur lequel les américains ont coutume d’exercer leur efficacité, Dark Waters est déjà légitime quant à son sujet, à savoir la toxicité des produits fabriqués et vendus à...
le 26 févr. 2020
59 j'aime
6
Les Etats-Unis forment une nation suffisamment riche, puissante et multiple pour nourrir en son sein les deux dragons qui seront en mesure de s’affronter. C’est ainsi que ce vaste pays pourra porter...
le 29 févr. 2020
50 j'aime
13
"Non jamais la Cour, ni ses serviteurs ne vous trahiront dans le sens grossier et vulgaire, c’est-à-dire assez maladroitement pour que vous puissiez vous en apercevoir assez tôt pour que vous...
le 11 juil. 2020
27 j'aime
16
Du même critique
Guillaume Canet fait sa crise de la quarantaine. À l’heure où la comédie française ne brille pas par sa qualité, l’acteur-réalisateur français revient au cinéma avec une réalité-fiction, après...
Par
le 17 févr. 2017
53 j'aime
5
Nouveau venu dans le paysage cinématographique français, Jean-Baptiste Durand signe avec Chien de la casse un premier film détonnant, subtil et profond, sur une histoire d’amitié tumultueuse. Un coup...
Par
le 16 avr. 2023
21 j'aime
2
"On ne gagne pas avec la violence, on ne gagne qu'en gardant sa dignité". Green Book est un voyage dans l'Amérique ségrégationniste des années soixante. Un road-trip où le voyage, à la fois...
Par
le 26 janv. 2019
21 j'aime
1