1978, Dawson City. Dans cette cité qui borde le lac Yukon, au Canada, des fouilles permettent la découverte d’un véritable trésor culturel : plus de 500 bobines de films en 35mm sont exhumés des sols de ce qui fût une des villes pionnière de la ruée vers l’or, au début du XXème siècle. Enterrées cinquante années auparavant et miraculeusement conservées par le permafrost de la patinoire désaffectée, elles constituent, pour la plupart, la dernière trace de films que l’on croyait alors à tout jamais perdus.


De ce fait initial, Bill Morrison, cinéaste spécialiste du film d’archive, en a tiré le point de départ d’un documentaire aux ambitions qui dépasse largement le simple récit de l’importance et des conséquences de cette découverte. En donnant vie à ses images retrouvées et en créant un parallèle avec la fabuleuse histoire de leur excavation et des personnages clefs de la fondation et l’évolution de cette ville unique en son genre, il signe un puissant document sur la mémoire, la force du temps ainsi que sur la formation des destins collectifs et individuels.


Un témoignage exceptionnel


En aménageant un nouveau parc de loisirs, les ouvriers d’un chantier de Dawson City découvrent un cimetière de pellicules de films. Des kilomètres de ce support hautement inflammable en nitrate, responsable de la disparition des trois quart des films muets avant leur remplacement par des bandes en acétate en 1949, sont alors redécouverts et progressivement restaurés afin de donner une seconde vie à ses images du passé alors sur le point de s’éteindre à jamais.


Si ce mystérieux tombeau a pu voir le jour, c’est principalement pour des raisons économiques et géographiques. Isolée, la ville de Dawson ne reçoit les films deux ou trois ans après le début de leur exploitation : faute de moyens, de dispositifs ou de lieux pour les faire suivre, les distributeurs préfèrent alors les abandonner. La ville cherche alors des solutions pour conserver et stocker, sans les dégrader, ces nombreuses pellicules qui s’accumuleront au départ dans une salle de la bibliothèque municipale.


A côté des extraits de ces films d’archives s’ajoutent alors, dans le documentaire, les photos d’Eric Hegg, photographe ayant couvert les ruées vers l’or du Klondike à la toute fin du XIXème siècle. Le montage s’appuie alors sur ces documents anciens qui viennent coller au sujet et aux événements mentionnés mieux que n’importe quelle autre procédé d’illustration. Une cathédrale d’images qui ancrent peu à peu une dimension profondément nostalgique et contemplative, en parfaite adéquation avec le sous-titre du film.


Des mots aux images, des images au son


Ce qui marque parmi les choix artistiques opérés dans le long-métrage, c’est notamment celui de la narration. A la voix-off et aux témoignages directes, Bill Morrison préfère le texte, factuel et précis, qui s’inscrit en sous-titres sous les nombreux films et photos qui défilent. Un procédé aujourd’hui très utilisé dans les formats courts de certains médias sur les réseaux sociaux mais encore assez rare au cinéma. Cette façon de traiter le propos permet de laisser libre choix au spectateur de se perdre dans les mots, la musique ou les images. Les anecdotes affluent et construisent lentement le récit des événements et personnages qui ont fait cette ville, à la façon d’un livre ouvert, parcouru avec délicatesse et attention.


Débarrassé de l’aspect sonore, la narration se joue alors ailleurs, et permet à la musique de pleinement s’exprimer et de générer de longs intermèdes méditatifs, à l’image du montage qui, à l’exception de sa courte exposition et de sa fin, n’est qu’une plongée dans les arcanes même du souvenir de cette cité aux milles facettes. Signée par Alex Somers, proche collaborateur de Jónsi (Sigur Rós) et auteur de la musique du Captain Fantastic de Matt Ross, livre une partition enchanteresse toute en douceur et nuance, qui nous porte dans un doux rêve éveillé.


Le lieu comme vecteur d’histoires humaines


La ville, au delà de ses nombreuses projections renommées de films muets, va peu à peu devenir également un lieu de tournage très prisé par certains cinéastes, inspirant de nombreux courts et longs métrages. La fiction rejoint alors la réalité, dans un monde fait d’ascension et de chutes, de réussites et de décadences, d’espoirs et de désillusions.


Les histoires qui peuplent le film sont nombreuses : celle de la découverte de ces pellicules, de la ruée vers l’or, des investissements et incendies qui font et défont la prospérité de la ville, mais aussi l’aventure du cinématographe et de la pellicule, ces inventions qui, d’abord instables, vont ensuite faire le septième Art. Pourtant, avant tout, c’est bien celle de ce territoire, terre d’Histoire et de passages de nombreuses cultures, tribus et personnages, qui domine. Et alors l’humain, dans toute son ambivalence et ses paradoxes, s’affirme au fil de l’histoire de cette cité qui ne cesse de muter, de se transformer, de se réinventer. Ainsi la réalité est, dans la construction du film, en constante fluctuation et réaction avec les images, témoignages et vestiges qui la composent.


Lent, avec un ton unique, Dawson City – Le Temps Suspendu s’adresse à la mémoire des lieux et des images pour mieux atteindre celle de l’Homme. Et l’importance du récit, de passer par la culture pour raconter des histoires et toucher le Vrai, devient alors une dimension plus que jamais essentielle.


la critique complète

Kamille_Tardieu
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le 11 août 2020

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Le  K

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