Trilogie russe en deux volets (ça commence fort) sur fond de lutte séculaire entre Bien et Mal, filmé comme un cauchemar surpsychotique ou un bad trip au LSD et peuplée de vampires, sorcières, oracles, Autres et ombres indistinctes, le binôme Night/Daywatch s'offre pour vague toile de fond une trève contre-nature antimanichéenne conclue quelques six cent années plus tôt et sur le point d'être définitivement rompue.
A mi chemin entre blockbusters, films de genres et films d'art et essai (tendance hermétisme intello-pompeux), de par son étrangeté, son rythme (a)typiquement slave, son cheminement hors-code, l'ensemble s'avère aussi divertissant qu'une séance de farniente chez le dentiste (pour se faire limer les canines, vraisemblablement), aussi oxygénante qu'un cachot de deux mètres sur deux sans issues ni fenêtres, aussi confortable qu'un vieux tapis de clous rouillés et aussi réjouissante qu'un grand huit fou lancé à pleine vitesse (et hors rails, qui plus est).
Posant les bases d'un univers d'une inventivité (visuelle, notamment) et d'une richesse formelle à couper le souffle (tendance "toit du monde", on en manquerait presque d'oxygène), ces deux expériences inclassables se plaisent à entortiller les trames narratives, emmêler les intrigues, donner l'impression de se perdre en détours inutiles pour mieux atteindre ce qui aura toujours été leur but et mieux donner du sens à ce qui semblait n'en avoir aucun. La carte jouée ici ? Tout un jeu, vraisemblablement : celui de la surenchère, du décalage, du suintant, du glauque, du nocturne, du dantesque, du n'importe-quoi-isme, de l'intimiste, de l'oxymore et du déconcertant, à une cadence oscillant fébrilement entre la léthargie et la surexcitation.
Parfois (volontairement) kitsch, parfois (tout aussi volontairement) brillant (si ce n'est même classieux), le duo brouille les limites, mélange les genres, s'invente ses propres convenances avec une rudesse et une austérité aussi communicatives que charismatiques. Sur le fond tout autant que sur la forme, il met de la lumière dans l'ombre, de l'ombre dans la lumière, réinvente des mythes millénaires par le truchement de personnages ambigus, indécis, imparfaitement humains, ni particulièrement bons, ni particulièrement beaux, ni particulièrement mauvais ou hideux.
Seule vraie différence, mais différence de taille : ce que Nightwatch ose à peine sur la pointe des pieds en terme de délire hallucinatoire (la faute, sans doute, à un remontage américain raccourci de vingt minutes), Daywatch se l'autorise avec tous les excès, les excentricités, les audaces incompréhensibles, les pieds-de-nez décadentistes, les irrévérences de soirées trop arrosées, pour le meilleur et pour le pire, et encore pour un pire qui n'a jamais été aussi "meilleur", pourtant, ou pour un meilleur confinant encore à un pire de génie. Dès lors, impossible de savoir si on adore vraiment ou bien si on déteste (sans doute est-ce un peu des deux à la fois) tant ces considérations apparaissent secondaires, si ce n'est anecdotiques (autant que l'allégeance des personnages au camp de l'ombre ou à celui de la lumière), au regard de l'éclat jubilatoire d'un résultat aux vrais airs de supernova.
Absurde, dément, gothique, grotesque,mais aussi poétique, imaginatif, sensible, troublant, habile, enthousiasmant... L'oeuvre d'un visionnaire, indubitablement. A chacun, ensuite, de se retrouver ou non entre les lignes de sa vision. A chacun de choisir son camp. Réfractaires ou admirateurs béats. Ombre ou lumière...
Qu'on aime ou qu'on déteste, à la manière d'un Devdas ou d'un Final Fantasy Advent Children, une expérience cinématographique comme l'on n'en vit que (trop) peu.