Dead Man par Chep-mirandol
Je me rappellerai toujours la première fois où j'ai regardé Dead Man. Terminale littéraire, 2 h de cours, et notre professeur, assez farfelue ( comme doit l'être tout bon prof de philo, je suppose), qui nous met ce dvd ( ou vhs, plutôt). Quand on ne sait pas à quoi s'attendre, Dead Man fait un effet bizarre. Je me souviens avoir été hypnothisé, m'être parfois emmerdé, et n'avoir pas trop su bien quoi penser du film au final.
J'ai eu l'occasion de le revoir, un an après, je dirais, et en toute indépendance. Mais c'est comme si je ne me rappellais pas l'avoir vu, ou comme si je l'avais rêvé. Vous savez, comme quand on a l'impression bizarre que l'on a déjà vu ou vécu ce que l'on est en train de vivre, ces petits flashes très fugaces. Et je crois qu'en fait, ce premier visionnage finalement assez embrumé quoique plaisant m'a permis par la suite de faire de ce film l'un de mes préférés.
Car c'est bien cette sensation vaporeuse, flottante que l'on capte, le film entier est un rêve, un western/road-movie onirique, déjanté et sombre, un trip dû aux cactus hallucinogènes des tribus indiennes type mescaline ou peyolt, mais dont on ne redescend que tardivement. La musique de Neil Young, sûrement perché très haut pour la composer, accentue encore plus le phénomène, et le prolonge par la suite jusqu'à la fin du générique final. ( et même plus si vous trouvez la b.o.)
La photographie est, comme toujours chez Jarmush, à tomber par terre, on sent que le mec maîtrise absolument son noir et blanc. Et je me rappelle avoir parlé de précision pour Fenetre sur Cour, mais on a là aussi un très grand exemple de précision: chaque plan est savamment étudié, les cadrages sont toujours magnifiques, les mouvements des personnages à l'écran sont au poil de cul ( désolé, j'aurais pu trouver mieux comme image, mais c'est mon côté fan de Kaamelott qui resurgit sans crier garre), exactement comme dans Down by law, sorti dix ans plus tôt ( une autre perle, d'ailleurs). Tout cela nous donne l'impression d'une maîtrise absolue, et ce n'est pas qu'une impression, je vous rassure.
La première séquence, déjà, est incroyable de virtuosité. On traverse, avec Johnny Depp, les Etats-Unis d'est en ouest, à bord des désormais classiques trains à vapeur, époque oblige. L'évolution des paysages et des passagers nous plonge dans cette traversée, entrecoupée par les siestes de j.Depp ( déjà on ne cerne pas bien la frontière entre rêve et réèl) : les paysages se font de plus en plus sauvages, on ressent petit à petit la menace des Indiens avec les quelques vestiges occidentaux qu'ils laissent sur les bords du chemin de fer; tandis qu'à bord du train, les notables et les femmes des villes de l'Est sont peu à peu remplacés par des rustres crasseux, nouvelle menace car tous armés, qui n'hésitent pas à dégommer du bison par les fenetres du train, sur la fin du trajet. Le personnage de Johnny Depp est de plus en plus décalé avec son environnement, au fil des dizaines de milliers de kilomètres( et ce n'est qu'un début). Le jeu des acteurs est comme toujours chez Jarmush un peu exagéré, mais l'aspect caricature de ses personnages m'a toujours beaucoup plu.
La suite est du même niveau, bien sûr, avec les apparitions de quelques bonnes gueules ( Iggy pop, Robert Mitchum, Lance Henriksen, John Hurt et j'en passe...), le personnage de Nobody l'indien fantasque, sorte de Benigni chamane yanomami et quelques images marquantes dont je ne dirais rien ici. Le voyage devient une sorte de quête mystico-spirituelle, toujours très poétique, on erre comme une âme en peine, vers l'inévitable, on suit William Blake dans sa " fuite" vers l'avant ( avec à ses trousses la plupart des pourritures du coin). D'ailleurs le groupe des chasseurs de prime est tout simplement génial, et réservera quelques belles surprises.
Je n'en dis pas plus. Juste que c'est sans hésiter que je le place dans mon top 10, à la 5 ème place, bien encadré par deux autres légendes du western. Ce film est poétique, culte, magique, inoubliable, hypnotique, magnifique... c'est une expérience unique, que j'aime revivre le plus souvent possible, le son à fond si possible; et Johnny Depp, dont je n'ai pas parlé jusqu'ici, trouve le rôle de sa vie ( devant Raoul Duke et Ichabod Crane).
A masterpiece.