En bon anti-héros méta, Deadpool se devait d'être l’empêcheur de produire en rond de l’usine à super-héros : mettre en évidence les rouages du système et s’en moquer, avant d’en briser les codes dans un accès de folie meurtrière. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce personnage ne fut jamais titulaire d’un poste dans l’Univers Cinématographique Marvel, sa nature transgressive étant contraire à celle de la ligue des vengeurs masqués à laquelle il rêve pourtant de devenir membre permanent. On ne critique bien le système que depuis l’extérieur…
Parce que ça taquine donc, ça chahute, ça vanne, ça ironise deux heures durant sur les éléments constitutifs du fond de commerce de la maison Marvel (le multivers et le caméo post-mortem), certains spectateurs ressortiront de Deadpool & Wolverine convaincus d’avoir vu là une œuvre éminemment subversive. Sauf que cette suite d’une franchise désormais installée dans le paysage cinématographique et produite à grand frais (200 millions de dollars, tout de même !) se révèle être une vaste escroquerie - ce qui était apparemment déjà le cas des deux précédents volets qui avaient la décence de coûter moins cher. Une escroquerie sur laquelle une large partie la presse et du public ferment les yeux, par faiblesse intellectuelle (l’argument massue « laisser son cerveau au vestiaire » excusant désormais une absence de rigueur et d’intelligence) ou simplicité d'esprit. Cette suite nous sert donc la même soupe dans laquelle elle crache – ne pas oublier que 20th Century Fox appartient à l’entreprise Disney – tout en maintenant l’illusion d’être à la marge par des vannes bien senties sur le fan service et l’abattage comique de l’inépuisable Ryan Reynolds. Ce même Ryan Reynolds qui, à défaut d’être parvenu à s’imposer dans des rôles sérieux (Blade Trinity, X-Men Origins : Wolverine), s’illustre désormais dans le second degré. L’acteur se garde par ailleurs de jeter un regard moqueur sur ce passé artistique peu flatteur, préférant jouer la carte de la nostalgie en exhumant des documents d’archives de la Fox lors du générique de fin. Niveau autodérision, on repassera.
Derrière la décontraction et les railleries prétendument insolentes, Deadpool & Wolverine ne réfléchit donc sur rien, mais surtout ne remet jamais en question son propre conformisme et sa cupidité. Les caméos, filets de sécurité permettant aux blockbusters contemporains de s’assurer a minima la satisfaction des fans, y sont ici légion et d’une absolue vacuité, allant jusqu’à convoquer le Gambit avorté de Channing Tatum. Avec son cynisme porté en bandoulière, Deadpool n’est finalement pas en meilleure santé que la Maison des Idées. C’est d’ailleurs après avoir « dézippé la couenne » du film que l’on remarque les faiblesses de sa structure : des enjeux mal définis, des motivations changeant au grès des besoins scénaristiques, et des incohérences embarrassantes. Quant à la réalisation, confiée au très inoffensif mais sympathique Shawn Levy (la trilogie La Nuit au Musée, Real Steel, Fall Guy), sans être honteuse, elle se montre avare en action et images spectaculaires, pour atteindre rapidement ses limites au cours d’une mêlée générale illisible dans le QG de Cassandra Nova.
En jouant ainsi le jeu, sur le mode rigolard, de la politique artistique désastreuse menée par Marvel Studio depuis plus de dix ans, Deadpool & Wolverine marque une nouvelle étape dans la dégénérescence du film de super-héros : celle où le commentaire satirique d’un genre se confond avec son objet.