Après cette triste année passée derrière un ordinateur, privés du contact de ses semblables, voir un film presque exclusivement composé de captures d’appels vidéo a de quoi démotiver. Pourtant, dès la troisième séquence, le dispositif devient étonnamment pédagogique lorsqu’un intervenant met en évidence l’une des spécificités d’une conversation en ligne, à savoir l’absence de flux sonore lorsqu’un utilisateur ne parle pas. Ainsi, le silence est négligé alors que c’est l’un des aspects les plus importants d’une discussion. Le film est ponctué de ce type d’observations insignifiantes en apparence, qui permettent néanmoins de renouveler notre rapport à l’image et au son en se focalisant sur des détails. Dans une autre scène, la vidéo d’une femme est floutée car sa webcam est recouverte d’un obstacle transparent. Étant donné qu’elle ne se voit pas sur son écran, elle fait remarquer que la sensation se rapproche davantage d’une conversation réelle, dans laquelle elle ne peut se regarder parler.


Évidemment, ce parti-pris esthétique n’a de sens que si le rendu des appels vidéo sonne vrai. Sur ce point, Dear Hacker est irréprochable : le son et l’image sont authentiquement filtrés par l’application, le cadre et la lumière ne sont jamais travaillés comme au cinéma, et surtout, le film reprend le “montage en direct” des appels Zoom où seul l’utilisateur émettant du son est en plein écran. Repoussante de prime abord, l’esthétique numérique trouve un véritable moment de grâce lorsqu’une intervenante transmet la vidéo d’une webcam encore en cours de fabrication, offrant des images abstraites rappelant une observation au microscope. Plus magnifique encore, un autre intervenant montre des signaux fantômes qui se traduisent par de très belles formes compressées en noir et blanc, mêlées au quintuple split-screen des fenêtres Zoom. Alors qu’on a tendance à penser que l’une des faiblesses du numérique est sa maîtrise totale, la réalisatrice laisse une grande place au hasard, ce qui embellit davantage ces quelques séquences proches du cinéma expérimental.


Si Dear Hacker part de la crainte (ou plutôt de l’envie) d’Alice Lenay de s’être faite espionner à travers sa webcam, ce n’est qu’un prétexte pour aborder tous les questionnements liés aux relations inter-écrans. Il y a d’un côté les séquences fascinantes car très esthétiques, et de l’autre celles instructives avec des raisonnements pointus. Le fil rouge est finalement assez secondaire, et même si Alice Lenay est charismatique, on sent bien qu’elle manque de naturel et que les intervenants jouent le jeu. Il en ressort une légère impression que la réalisatrice brode sur du vide, car le mystère n’appelle pas de résolution et n’a pas vraiment de lien avec la partie réflexive. Néanmoins, difficile de rester insensible face à cette proposition radicale et sincère, qui déjoue sa forme anti-cinématographique à la perfection.


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le 18 mars 2021

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