Après deux expériences, l'une négative et l'autre positive, dans la filmographie peu accessible de Lav Diaz, il fallait réitérer le vieil adage "jamais 2 sans 3" et pour se faire, quoi de mieux que de m'attaquer à son féroce Death In The Land of Encantos. Un projet d'un tout petit peu plus de 9h dont le visionnage sur une seule journée s'apparenterait plus à du sado-masochisme qu'autre chose. Après l'avoir vu, 99% des films que vous verrez vous paraîtront être des courts-métrages. Ressortir de cette séance équivaut à avoir fait preuve d'un courage et d'une ténacité sans failles. Après 3 jours, je peux enfin apporter la première critique sur ce site d'une oeuvre qui a fini par me faire comprendre que Lav Diaz et moi-même savons bien cohabiter ensemble et que son travail me parle.


Mais que peut-il nous raconter sur 544 minutes et 1 seconde montre en main ? La mort, la désolation, la souffrance, la solitude, la désillusion et l'impuissance de philippins qui ont subi les conséquences cataclysmiques d'un typhon qui a ravagé l'endroit où ils vivaient. Les paysages meurtris par les glissements de terrain et les eaux tourbillonnantes exhibent des arbres qui ont tout le mal du monde à tenir debout, des terres où rochers et gravats sont éparpillés et surtout ces maisons ensevelies ou, dans le meilleur des cas, rendues insalubres par les aléas climatiques. Voilà le triste spectacle que Death in the Land of Encantos nous propose en filmant de manière très intimiste le quotidien d'hommes et de femmes qui ont tout perdu. Des interviews qui ne pourront nous laisser indifférent, bien à l'abri dans une société épargnée (pour l'instant) par les ravages environnementaux de grande ampleur. Oui, nous avons beaucoup de chance et certains esprits fatalistes qui ne font que pousser jérémiades sur jérémiades 24/24h devraient apprendre à sortir de leur cocon pour contempler un monde qu'ils ont su échapper.


Face à l'objectif, les interrogés n'hésitent parfois pas à crier leur rancoeur, à pleurer la disparition de leurs amis, parents, époux et même les enfants pour les plus malchanceux d'entre eux. En parallèle, c'est aussi des hurlements de rage envers un gouvernement qui les a abandonnés. Les vivres tardent à arriver. La reconstruction n'est pas à l'ordre des priorités du pays. Et surtout est reprochée la cruelle absence de démocratie et de liberté individuelle au sein d'un régime politique qui n'hésite pas à user de méthodes portant gravement atteinte aux droits de l'homme pour conserver sa douteuse suprématie sur des gens pauvres et esseulés.


A ce documentaire coup de poing, Lav Diaz va narrer l'histoire fictive de plusieurs personnages se connaissant et se fréquentant. Une histoire d'amour qui n'en est pas une. Un poète frappé de troubles mentaux. Des rivalités existentielles et des débats socio-politiques. Death in the Land of Encantos a beaucoup de choses à dire même si tout ça sera sujet à discussion chez les plus sceptiques qui risqueront fort bien de tirer la moue devant une mise en scène contemplative qui étire le temps. Des longs plans fixes sur les décors tout sauf paradisiaques ou sur des discussions entre deux ou plusieurs personnes. Aucune bande son de la partie et un noir et blanc d'une saisissante beauté. Voilà ce qui vous attend si vous avez le cran de vous attaquer à ce challenge cinématographique. Death in the Land of Encantos (magnifique titre au demeurant) interpelle et, au risque de me répéter, a l'immense mérite de fermer le clapet de ceux (de plus en plus nombreux malheureusement) qui s'offusquent pour un rien.

MisterLynch
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le 10 mars 2021

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MisterLynch

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