J'avais suivi des bouts de la mission de Ruffin sur les métiers du lien, notamment le fameux passage où il vote contre sa propre proposition de loi, s'attirant l'ironie de Brigitte Bourguignon, et part en fureur car sa proposition a été complétement dénaturée et vidée de son contenu.
Ce film relate l'histoire depuis le début : le réalisateur Gilles Perret suit Ruffin, qui doit partager le poste de rapporteur avec Bruno Bonnell (!). Il infléchit la commission pour aller auditionner des AVS, des AESH, des infirmières libérales. Il défend la revendication de 13e mois des femmes de ménage de l'Assemblée. Toutes ces femmes prennent la parole. La proposition de loi est un fiasco. Dans une dernière séquence poignante, Ruffin et Bonnell obtiennent une salle de l'assemblée pour que ces femmes, que l'on a vues au long du film. Elles prennent la parole, comme si elles étaient des élues de la nation. Dans le générique de fin, des cartons disent que les femmes de l'Assemblée nationale ont obtenu le 13e mois, que les AESH ont eu une revalorisation symbolique, et que les soignants se sont faits enfler. Générique sur la musique-fil rouge du film, "Une vie sans tendresse" chantée par Bourvil.
Le film prend la forme d'une ballade saccadée, comme J'veux du soleil, mais en mieux calibré. Comme le film précédent, je ne peux m'empêcher de considérer Ruffin comme un sacré renard. Au fonds, il continue son crédo de "député-reporter" sous couvert de travail parlementaire.
Bon, concernant le duo qu'il forme avec Bonnell, ne croyez pas que le film se transforme en buddy-movie. C'est même vraiment gênant, de voir Bonnell, avec son sourire de requin, faire mine qu'il se découvre une fibre sociale en prononçant des mots creux. En tout cas c'est ce que suggère le montage, qu'on ne peut qualifier de charitable à son encontre. J'aime bien le moment où, quand il faut déposer la proposition de loi, on voit qu'il n'a pas l'habitude et Ruffin éclate de rire en disant "On dirait qu'on a un puceau de la proposition de loi !". Je ne devrais pas cautionner qu'un film ridiculise une personne, mais honnêtement, c'est Bruno Bonnell, je ne vais pas pleurer.
Le coeur du film, c'est ce que Ruffin fait de mieux : donner la parole à des personnes qui font des métiers ingrats et déconsidérés sans tomber dans le misérabilisme. On voit qu'elles ont leur dignité, leurs aspirations, qu'elles trouvent de petites joies où elles peuvent, même si leur métier les use prématurément.
Ce n'est pas non plus un chef d'oeuvre. Mais le film a le mérite de documenter, au passage, ce moment où le covid est arrivé et où nous avons appris à mettre un masque, et où les pompes à essence, pour les rares personnes qui prenaient la route, indiquaient "Restez chez vous". On voit Dieppe vide. On voit, aujourd'hui avec pitié, ce moment où face à la pénurie de masque, nous portions tous des masques faits maison (baptisés "grand public" par un spin doctor de génie). Ce moment où les soignants, les caissières étaient sur le devant de la scène pendant que nous étions confinés, où nous vivions avec la peur de prendre une amende pour une autorisation de sortie mal rédigée.
Et c'est bien, car il faut garder une mémoire de cela.
Le film a un final mieux fait que le précédent.
Debout les femmes ne montre pas grand-chose du travail de député, en revanche il donne la parole à ces femmes qui font des métiers si ingrats. Il montre l'impuissance du député à faire quelque chose pour elle, et le film est un peu pour Ruffin une manière de s'en excuser. D'où un goût un peu doux-amer. C'est cependant un film salutaire dans l'époque actuelle.
Vu aux Montreurs d'images à Agen.