Le film est plus plaisant que ce à quoi je m’attendais, étant donné les avis que j’avais pu lire et le public plus que clairsemé dans la salle. Il faut en convenir, la vérité historique n’est pas toujours au rendez-vous mais l’essentiel de l’histoire reste plausible même si le personnage campé par Isabelle Carré a autant de chances d’exister qu’un pâté aux alouettes au fast-food du coin. Soyons cependant de bon compte et n’oublions pas que nous avons affaire à un conte historique et non à un docu-fiction.
Alors certes, l’histoire contient une part d’invraisemblances et peut par certains aspects sembler caricaturale. Et oui, les nobles dont il est ici question représentent parfois de façon outrancière tout ce que l’Ancien Régime avait de plus profondément haïssable. Et si l’esprit des Lumières était dans l’air du temps (incarné dans l’histoire par le fils du personnage principal ) il ne semble en tout cas pas avoir touché les aristos auxquels nous avons affaire : leur fatuité, leur futilité, le mépris pour ceux qui font de leur existence oisive une fête perpétuelle sont carrément insupportables. On peut évidemment estimer que la description manque de nuance mais ce n’est pas mon cas : qu’il y ait eu des nobles à l’esprit plus éclairé et qui ne correspondaient pas à ce modèle ne change rien au système de privilèges qui avait cours à une époque où l’art de vivre et les divertissements étaient confisqués par une élite sociale fondée sur la naissance. Quant à ceux qui pourvoyaient aux plaisirs de bouche, comme par ailleurs aux besoins culturels de l’aristocratie, ils n’étaient guère que des domestiques qu’on pouvait congédier par pur caprice et qui ne jouissaient d’aucune liberté dans l’exercice de leur talent.
Ce que conte ce film au fond, c’est l’émancipation de l’un de ces "artistes" (car la gastronomie est bien sûr un art) qui confiants dans leur savoir-faire, ont revendiqué à l’aube de la Révolution de pouvoir désormais en vivre sans devoir se plier à une quelconque servitude. Alors oui, le peuple en tant que tel est pratiquement absent de l’écran, même si on y fait quelquefois référence, mais on aurait tort de penser que la problématique abordée se situe à la marge des combats révolutionnaires. Pierre Manceron ne fait certes pas vraiment partie des plus démunis mais son statut d’indépendant reste précaire vu les nombreux freins à l’activité des artisans sous l’Ancien Régime et parce que son commerce pourrait à tout instant être interdit. Le combat du cuisinier, au fond, me rappelle un peu celui que Beaumarchais ou encore Condorcet vont mener à la même époque pour la reconnaissance des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle : à la veille de la Révolution, artistes et artisans veulent s’affranchir de règles fondées tant sur la pratique d’un mécénat qui n’est qu’une forme de domesticité à peine déguisée que sur l’octroi de privilèges royaux et entendent profiter d’une plus large autonomie. Désormais ils exigent le droit de voler de leurs propres ailes et de pratiquer leur art en toute indépendance.
L’histoire n’ayant rien d’un conte cruel, nous quittons les protagonistes tout affairés dans la joyeuse effervescence de leur ferme-restaurant au cœur d’un magnifique paysage du Cantal. Je m’en voudrais de ne pas signaler l’extraordinaire travail de la photographie, ce film étant un régal pour les yeux à défaut de l’odorat et des papilles (mais l’imagination peut très bien suppléer à la 4DX, non?) Reste que trop d’esthétisme peut parfois lasser, je vous laisse juges. Les contes s’arrêtant toujours sur une note positive, ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’en contrepartie de leur émancipation, nos héros seront bientôt confrontés au mécontentement pas toujours objectif du client devenu roi, selon l’adage bien connu. Désormais ils seront soumis à la loi du marché qui n’est pas nécessairement gratifiante et s’apparente parfois à la loi de la jungle. Et ce qu’ils ne savent pas encore, c’est qu’un jour ils seront plus que satisfaits qu’en cas de coup dur l’Etat joue les mécènes pour maintenir à flot leur activité. Mais bien entendu, ceci est une autre histoire…