Thématique très originale et style surprenant dans la filmographie de Mikio Naruse, pour son avant-dernier film. Première fois que le thème de la vengeance apparaît aussi frontalement, voire apparaît tout court — il me reste pour trancher à voir le reste de ses plus de 90 films en tant que réalisateur... L'effet de contraste est plutôt agréable et me pousse à surnoter légèrement, car ici tout est étonnamment lisible et directement accessible, avec pour corollaire l'absence d'épiphanie finale qui m'attendait dans les dernières minutes de tous les grands films de Naruse, de Nuages flottants à Tourments en passant par Le Grondement de la montagne.
Une trajectoire presque rectiligne, qui suit le destin d'une femme interprétée par Hideko Takamine, fidèle parmi les fidèles de Naruse : mère élevant seule son fils, elle le perd brutalement suite à un accident de voiture impliquant un délit de fuite auquel on assiste en parfaite connaissance de cause. Il s'agit en réalité de la femme d'un riche industriel automobile qui conduisait une voiture de sport en compagnie de son amant. Dans la panique, pensant que le gamin allait bien, elle décide de s'enfuir de peur de laisser s'éventer cette histoire d'adultère. Délit de fuite se concentrera presque entièrement sur la démarche de la mère éplorée dans sa volonté de faire éclater la vérité autour de l'accident, au sein d'un réseau dense de silences cherchant à dissimuler les événements.
Il y a en toile de fond la description d'une certaine modernité japonaise, dans les années 60, présentée comme sous influence capitaliste occidentale à travers l'omniprésence de la voiture, hautement symbolique. Le final est aussi d'une teneur didactique en matière de sécurité routière relativement ridicule. Mais en regard de cela, il y a surtout le double portrait de ces deux femmes, presque en miroir, avec deux formes très distinctes de malheurs et de souffrances. Le film déploie une très belle tension à ce niveau-là, en montrant un calvaire noué, une symétrie dérangeante, un malaise permanent. Avec en prime quelques expérimentations visuelles surprenante chez Naruse, avec déformation chromatique de la photo et plans anguleux pour accompagner la folie de Takamine.
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