- Vous faut-il une assurance collision ?
- Oui.
- Incendie ?
- Probablement.
- Pour dommage causé à tiers ?
- Oui, tout à fait.
- Préjudice corporel ?
- Que Dieu m’en garde, mais un accident ça peut arriver.
- À vous, plus souvent qu’à votre tour.
- Bon. Cela concerne la sécurité du véhicule. Aurais-je besoin d’autres protections ?
- Seulement contre moi, 007, si vous ne me ramenez pas cette voiture en parfait état !

Ce qui sépare la folie du génie ne se mesure qu’à l’aune du succès

Réalisé par Roger Spottiswoode, le 18ᵉ film de la saga James Bond, Demain ne meurt jamais me semble être un opus à part, s’inscrivant davantage dans le registre du film d’action pur et dur que dans celui de l’espionnage. Certes, au fil des différents opus et des multiples interprétations de l’agent 007, l’équilibre entre espionnage et action a progressivement évolué, au point d’atteindre une certaine symbiose entre les deux genres. L’opus précédent, GoldenEye, réalisé par Martin Campbell, inclinait déjà légèrement la balance dans une certaine direction. Toutefois, avec Demain ne meurt jamais, la balance penche nettement en faveur de l’action, une action bourrin au point de donner l’impression d’un précurseur des films à la John Wick. Faut-il pour autant y voir un mauvais James Bond ? Je ne le pense pas. Bien que l’accent mis sur l’action soit indéniable, on retrouve çà et là des éléments emblématiques de la franchise. De plus, ce parti pris apporte une forme d’originalité en s’éloignant du schéma classique, une approche qui a pu déplaire à certains puristes de la saga (ce que je peux comprendre) mais qui a le mérite d’explorer de nouvelles directions sans pour autant trahir fondamentalement l’essence du personnage et de son univers.


Faut-il pour autant y voir un manque de subtilité ? Non. Bien au contraire, sous la plume du scénariste Bruce Feirstein , Demain ne meurt jamais a le mérite d’introduire un antagoniste dont la menace résonne particulièrement avec notre réalité contemporaine : le pouvoir des médias. Le film explore la manipulation de l’information, ce véritable quatrième pouvoir capable d’influencer l’opinion publique, d’orienter les décisions politiques et de façonner la perception du monde. Il met en lumière une presse qui, loin d’être un organe libre et impartial, devient un instrument au service de ses propres intérêts, occultant certaines vérités et discréditant dans notre réalité toute remise en question sous l’étiquette commode de complotiste, fasciste, raciste ... « Vous avez oublié la règle d’or qui gouverne le monde des médias : donner aux masses ce qu’elles demandent ! » Cette approche est pertinente et percutante, bien que l’on puisse regretter une exploitation relativement limitée due ce concept. En effet, au vu du contrôle absolu exercé par l’antagoniste principal sur les médias, on peut s’étonner qu’il n’ait pas cherché à faire passer Bond pour un criminel aux yeux du monde. Une telle manœuvre aurait non seulement renforcé la tension dramatique, mais aussi placé 007 dans une position délicate, traqué par le pays qu’il a juré de protéger, ajoutant ainsi une intensité supplémentaire au récit. Néanmoins, l’écriture de Feirstein à le mérite d’aller droit à l’essentiel tout en s’appuyant intelligemment sur les avancées cinématographiques et narratives initiées par GoldenEye, modernisant le traitement des personnages féminins, repoussant les limites de l’action et poursuivant l’évolution de James Bond avec l’arrivée d’un nouvel interprète, Pierce Brosnan.


Impossible de s’ennuyer dans cet opus où l’action démente nous saisit dès la scène d’ouverture sur un aérodrome Russe reconverti en marché d’armes pour terroristes. James Bond, va faire une entrée spectaculaire en mitraillant à tout va, avant de chopper un avion de chasse équipé de torpilles nucléaires SB-5 soviétiques qu’il doit d’une destruction totale, menacé d’exploser à cause d’un missile sol-sol tiré par la Royal Navy. Une séquence durant laquelle il va faire carnage avec son avion avant de se retrouver confronter à un autre avion de chasse. L’introduction donne le ton de ce qui attend le spectateur, avec Bond qui ne cesse de mitrailler ses ennemis tout au long du film. Et lorsque Michelle Yeoh se joint à lui, cela en fait l’un des épisodes de la franchise où le nombre d’adversaires abattus atteint des sommets. C’est pour dire, avec cet opus, après plus de trente-cinq ans, James raccroche son Walther PPK pour s’armer d’un Walther plus moderne et percutant avec le P99. Le montage nerveux de Michel Arcand et Dominique Fortin renforce cette frénésie, rendant chaque instant percutant. On se régale notamment avec l’une des meilleures courses-poursuites en voiture de la saga avec une BMW 750iL truffée de gadgets signés Q. Elle est pilotée à distance via un téléphone portable, nous offrant une séquence mémorable. Mais ce n’est rien comparé à l’impressionnante poursuite à moto, une BMW R1200C, avec laquelle Bond et Wai Lin (Michelle Yeoh), menottés l’un à l’autre, enchaînent les cascades spectaculaires. Leur saut en chute libre d’un immeuble est déjà vertigineux, mais ils repoussent encore les limites en bondissant à moto au-dessus d’un hélicoptère dans une scène d’anthologie. Entre deux fusillades, on savoure quelques affrontements au corps à corps bien musclés, dont un duel nerveux où Wai Lin, déchaînée, affronte avec brio les triades chinoises. Et que dire du final ? Une véritable déferlante d’action où les armes crachent leurs balles à un rythme effréné, laissant derrière elles une pluie de douilles et un tapis de cadavres. Wai Lin et Bond, en parfait tandem, nettoient les lieux avec une efficacité digne de deux agents 00. Le combat final entre Bond et Stamper (Götz Otto), intense et mené dans des conditions extrêmes, conclut en beauté cette aventure qui nous laisse littéralement à bout de souffle.


- Votre nouveau téléphone. Parlez ici et écoutez là.
- C’est donc ça qui m’échappait depuis si longtemps !

D’un point de vue technique, Demain ne meurt jamais est une véritable réussite. La mise en scène soignée de Roger Spottiswoode, alliée à la superbe photographie de Robert Elswit, sublime les décors imaginés par Allan Cameron. Si le film nous ancre dans des lieux emblématiques d’Angleterre, comme Oxford et Londres, il nous embarque aussi à Hambourg, en Allemagne, avant de nous plonger en pleine mer de Chine méridionale, au Vietnam, avec des passages à Hô Chi Minh-Ville et dans la majestueuse baie d’Along. Ces décors, peut-être moins paradisiaques que ceux auxquels la saga nous a habitués, n’en demeurent pas moins impressionnants et fonctionnels, notamment la tour Carver à Saïgon et le vaisseau furtif inspiré du Sea Shadow, un prototype conçu par Lockheed pour l’US Navy. Petite anecdote : lors de la recherche du navire furtif par Bond et Wai Lin, on aperçoit en arrière-plan l’île de Ko Tapu, dans la baie de Phang Nga, en Thaïlande. Ce lieu, surnommé « l’île de James Bond », abritait autrefois l’antre de Scaramanga dans L’Homme au pistolet d’or (1974). Un clin d’œil sympathique. Les costumes de Lindy Hemming adoptent un style plus sobre et réaliste, ancré dans une esthétique mercenaire qui ne me déplaît pas. La bande originale signée David Arnold se distingue par son intensité nerveuse, parfaitement en phase avec l’action. Côté générique, Tomorrow Never Dies interprété par Sheryl Crow est plutôt agréable, bien que surpassé par Surrender, le morceau de fin composé par David Arnold et chanté par k.d. lang. D’ailleurs, petite anecdote : Surrender devait initialement être le titre principal du film, mais les producteurs ont préféré la chanson de Sheryl Crow. Un choix regrettable, bien que cette dernière livre une prestation honorable.


Côté casting, ce 18ᵉ opus nous gâte avec une galerie de personnages marquants, superbement interprétés. Pierce Brosnan confirme ici qu’il est un James Bond parfait, prouvant que GoldenEye n’était pas qu’un coup de chance. Il incarne un James Bond, alias 007, alias Cavalier Blanc, plus brutal et impitoyable, sans pour autant perdre son charme irrésistible ni sa dimension humaine. Son aisance naturelle dans le rôle, qu’il s’agisse des scènes d’action, des moments de tension dramatique ou des séquences plus légères empreintes de séduction, le place sans conteste parmi les meilleures incarnations de l’agent secret. Il jongle avec brio entre l’homme d’action redoutable et l’espion charmeur, capable de faire succomber quiconque croise son regard… même moi, je dois l’admettre. « Si je peux me le permettre, tu as désormais le plus décadent et le plus corrompu des agents de l’Ouest comme partenaire. » Vient Michelle Yeoh ! Michelle Yeoh incarne le colonel Wai Lin, une agente des renseignements chinois travaillant pour le ministère de la Sécurité d'État. Véritable Bond girl badass, elle s’impose comme l’une des plus redoutables de la saga 007 dans son entièreté. Experte en arts martiaux, tireuse d’élite et équipée de son propre arsenal de gadgets rivalisant avec ceux de Q, Wai Lin est la première Bond girl à égaler l’agent 007 en compétence et en charisme. Michelle Yeoh livre une performance magistrale, exécutant elle-même des scènes de combat mémorables qui renforcent encore son aura de combattante d’exception. Elle est géniale ! Teri Hatcher en tant que Paris Carver incarne une rose aussi belle que piquante, apportant une touche de nuance à notre cher Bond. Elle n’est pas une conquête de mission comme tant d’autres, mais une femme avec qui il a vécu une liaison passionnelle de deux mois, hors du cadre de son travail. Une relation intense, brisée par les exigences du métier d’agent secret. Ce qui rend leur histoire encore plus marquante, c’est que Bond semblait réellement tenir à elle au point de lui confier la vérité sur son identité et sa profession, un privilège rare pour celles qui croisent sa route. Un détail qui en dit long sur la place qu’elle occupait dans sa vie. « Dis-moi James, tu dors toujours avec une arme sous ton traversin ? »


Niveau badguys c’est le pied total ! Jonathan Pryce est tout simplement fantastique dans le rôle d’Elliot Carver, l’antagoniste principal. J’apprécie particulièrement ce méchant dont le plan machiavélique, celui de provoquer une guerre entre le Royaume-Uni et la Chine pour accroître l’audience de son empire médiatique et obtenir un accès exclusif au marché chinois, se révèle aussi cynique que crédible. « Et c’est grâce à cela que le groupe Carver Media brillera comme la meilleure source d’information sur le monde entier. » À la tête du Carver Media Group Network, Pryce livre une performance jubilatoire, incarnant un tyran mégalomane à la fois colérique et exubérant, incapable de faire confiance à qui que ce soit, pas même à sa propre épouse qu’il fait exécuter sans le moindre état d’âme. Seul son bras droit, Stamper, bénéficie de sa considération, leur relation apportant une dynamique intéressante. Et quelle fin pour ce personnage ! Son arrogance le conduit à une mort aussi cruelle qu’ironiquement poétique, déchiqueté par sa propre torpille foreuse dans une scène aussi brutale que satisfaisante. Götz Otto incarne avec charisme Stamper, le bras droit et homme de main de Carver, en tant que chef de sa sécurité. Véritable menace physique pour Bond, il s’impose comme un soldat redoutable à la résistance hors du commun. Son allure inquiétante et son goût pour la torture ancestrale par les chakras, héritée de son mentor le Dr. Kaufman (Vincent Schiavelli), en font un tortionnaire redoutable. « Le Dr. Kaufman en a maintenu en vie 52 heures. J’espère battre son record. » L’élimination de Kaufman par Bond ne fait qu’intensifier la rivalité entre les deux hommes, ajoutant une dimension personnelle à leur affrontement. Ce que j’apprécie particulièrement chez Stamper, c’est qu’il ne se limite pas au rôle de brute épaisse. Derrière sa force colossale, il se révèle aussi intelligent que redoutable. De plus sa manière de s’exprimer renforce encore sa dimension inquiétante. « Je vous dois une mort déchirante, Monsieur Bond ! » J’adore la relation qu’il entretient avec Carver, qu’il respecte grandement. On retrouve également les figures incontournables de la saga, à commencer par Judi Dench, impeccable dans le rôle de M, toujours aussi autoritaire et convaincante. Desmond Llewelyn campe un Q particulièrement savoureux dans ses échanges avec 007, ajoutant une touche d’humour bienvenue. Samantha Bond, quant à elle, reprend son rôle de Miss Moneypenny avec son mordant habituel. À cela s’ajoute le retour de Jack Wade, l’agent de la CIA déjà aperçu dans GoldenEye, incarné par Joe Don Baker. Petite anecdote : avant d’endosser ce rôle d’allié, Baker avait interprété un antagoniste dans Tuer n’est pas jouer.


CONCLUSION :


Demain ne meurt jamais s’impose comme un opus percutant de l’ère Brosnan, porté par une action frénétique, un casting solide et une mise en scène soignée. Si son intrigue repose sur un scénario cynique mais crédible, le film brille surtout par son rythme effréné, ses scènes spectaculaires et la performance impeccable de Pierce Brosnan, plus charismatique que jamais en 007. Entre des méchants mémorables, une Bond girl aussi redoutable que séduisante et des séquences d’action dantesques, cet opus ne manque ni de panache ni d’efficacité. Certes, il n’atteint peut-être pas une profondeur dramatique incroyable, mais il demeure une pièce jouissive de la saga.


Un Bond explosif, qui ne laisse pas une seconde de répit !

- Sauf votre respect M, je ne sais pas si vous avez ce qu’il faut dans le pantalon pour faire votre boulot.
- Peut-être pas. Mais c’est toujours mieux que d’avoir tout dans la culotte et rien dans la cervelle.

B_Jérémy
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le 27 mars 2025

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