Korean rapsodie
En 2013, lorsque Bong Joon-Ho et Park Chan-Wook avaient traversé le Pacifique pour rejoindre l'usine à mauvais rêve Hollywoodienne, on craignit alors un occidentalisation décevante des meilleurs...
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le 29 août 2016
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Yeon Sang-ho, réalisateur sud-coréen plutôt habitué à l’animation, se lance pour défi de rendre hommage au genre des films de morts-vivants/infectés avec un train rempli de ces créatures filant à travers la Corée du Sud alors au début d’une infection se propageant à grande vitesse, illustrée dans le film d’animation Seoul Station réalisé en parallèle. S’inspirant pour beaucoup de Georges Romero, en suivant un groupe de personnages dans un huit clos face à la menace, qui a plus ou moins fondé et popularisé le même genre au cinéma il y a bientôt 50 ans, le pari est-il réussi pour ce premier pas en dehors de l’animation ?
Commençons par les stars de ce type de film et qui en dictent la mise en scène : les infectés. Ils sont extrêmement agressifs, vifs dans leurs déplacements et le plus souvent groupés, ce qui permet donc d’avoir à l’écran ces vagues impressionnantes qui gagneront en ampleur au fil de l’intrigue jusqu’au point d’orgue révélé par les trailers garantissant que le budget de même pas 10 millions de dollars n’empêchait pas les ambitions de mise en scène. A titre de comparaison, World War Z c’était 20 fois plus quelques années plus tôt dans le même genre de l’autre côté du Pacifique.
Absolument rien à redire, les mouvements de caméras suivent bien les attaques avec cette caméra tremblante se propulsant de la manière que les infectés, cette mise en scène n’a rien d’extraordinaire en soi mais c’est parfaitement efficace. Le film a également le bon goût de se passer des jump-scares qui se font très rares et qui en sont plus efficaces et pertinents, ne puisant jamais trop dans des gimmicks devenus clichés du genre. Néanmoins, on peut qualifier le film d’action horrifique plutôt que d’horreur pure à mon sens, ce qui n’est en rien un défaut.
Il est aussi intéressant de proposer un tel film d’action sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré tout du long, les personnages devant faire face à la menace de façon improvisée, le plus souvent en essayant surtout de se cacher sinon de se battre avec ce qu’ils ont sous la main, ça permet des affrontements qui sortent de l’ordinaire et de conserver pas mal de tension. Les maquillages des zombis ne manquent pas de détails avec les veines ressortant du visage ou les yeux globuleux et les différents effets visuels sont tout à fait réussis.
Je reprocherai tout de même au film quelques incohérences et excentricités passagères dans cette mise en scène, notamment quand ils partent à trois défoncer des dizaines de zombis sans armes avec beaucoup de facilité. Avant et après ça, le film met constamment l’accent sur l’extrême dangerosité du moindre zombi très rapide et mortel au premier contact et de l’impuissance des êtres humains face à eux qui ne peuvent que s’enfuir ou se planquer dans le meilleur des cas. Cette scène m’a un peu sorti du film et je pense qu’elle était parfaitement inutile, même si bien filmé là aussi.
La musique composée par Jang Young-gyu, encore sans grande expérience, soutient très bien les moments de tension et d’action même s’il manque sans doute un thème marquant faisant toute l’identité sonore du film, le thème principal étant pas mal du tout mais manquant un peu de punch et d’envolée lyrique. Là-dessus, le film ne saura pas masquer son budget limité pourtant il continue de fournir un travail de qualité et pertinent. Et si le concept central du film est le huit clos dans le train, il ne s’y limite pas totalement avec quelques décors urbains, ce qui est plutôt bienvenu même si rien de sensationnel.
Il en va de même pour la photographie ou les décors qui se contentent de faire le travail sans briller particulièrement en dehors de quelques moments de grâce, souvent en jouant avec les reflets des miroirs ou des vitres non sans symbolisme pour appuyer le récit. Il est d’ailleurs temps de se pencher sur celui-ci même si ce n’est pas là qu’on attend le plus un film de zombi en principe, il a beaucoup à raconter et j’en ai beaucoup à en dire.
Dans la lignée des œuvres de Romero, on retrouve un message politique et social assez fort sous-entendu par l’œuvre. Ça commence par le personnage principal issu du monde déshumanisé de la finance, en cours de séparation avec sa femme, ne s’occupant que peu de sa fille de 10 ans laissée à sa grand-mère… et qui sera amené à penser à autre chose qu’à lui-même au cours de l’intrigue, aussi bien pour survivre que pour protéger sa fille. Etant donné le poids de la finance et de la culture de la réussite en Corée du Sud au détriment de certaines valeurs humanistes, la critique semble plutôt appropriée, même courageuse.
En effet, le danger ne vient pas seulement des infectés mais aussi des autres humains qui ne deviennent pas tous miraculeusement solidaires les uns envers les autres face à la menace et la manière dont les personnages sont caractérisés, le plus souvent rapidement et efficacement, résonne comme autant d’échos à des problèmes de société. Cette narration se fait aussi par les images, comme lorsque le discours de l’Etat sud-coréen se voulant optimiste se déroule devant des images de feu et de sang démontrant une toute autre réalité.
Très rapidement impitoyable en mettant à mort des personnages figurants, le récit s’autorisera également à ne pas épargner tous les personnages attachants et ne pas systématiquement récompenser les comportements merveilleusement humains ou incroyablement courageux. La morale est pourtant au centre de l’intrigue, ce sont les actions purement égoïstes, parfois inhumaines qui provoquent la plupart des morts, et les personnages immoraux auront droit au retour de bâton tant mérité. C’est même assez rare de voir un film, et même plus généralement une œuvre, de zombi portant si bien ces thématiques.
Même s’il ne va pas aussi loin que dans Seoul Station qui montre des faces beaucoup plus sombres de la société sud-coréenne dès ses premières minutes (sans-abri, alcoolisme, prostitution…), le réalisateur Sang-Ho Yeon explique sa démarche ainsi :
J’ai voulu que le public coréen puisse retrouver au sein du genre fantastique - auquel il n’est pas forcément très habitué - des éléments de la vie quotidienne. J’ai imaginé des personnages dans lesquels les Coréens puissent se reconnaître, même si je pense que Dernier train pour Busan aborde finalement des thèmes et des sentiments universels.
Le casting délivre très bien les performances attendues pour ces rôles certes très archétypaux mais bien choisis. Si je ne trouve par la prestation de Kim Su-an très bien maîtrisée pour un rôle principal, ses 10 ans l’en excusent amplement. Jung Yu-mi est parfaite pour cette femme enceinte bienveillante, intelligente et courageuse tandis que Ma Dong-Seok, révélé par ce film, s’impose. Je trouve juste Gong Yoo simplement correct dans sa prestation sans aller au-delà, peut-être un peu décevant pour le rôle principal mais comme le reste suit très bien, pas de problème.
La fin repose sur une idée que je trouve très intéressante (attention je spoile le film mais aussi la nuit des morts-vivants) :
Le twist final de la nuit des morts-vivants faisait tuer le héros par la police et ce film rend hommage à cette œuvre. On peut donc penser que le film ira jusqu’à faire tuer ses dernières survivantes et les faire survivre en faisant chanter la gamine qui n’y arrivait pas avant par manque d’amour que l’on ressentait envers elle, c’est assez magnifique. Le film n’avait pas besoin d’être sombre jusqu’au dernier instant et apporter cette touche de douceur et cette morale finale qui confirme qu’un peu plus de chaleur humaine entre nous ne serait pas de trop dans ce monde capitaliste qui fonce à toute vitesse et qui empile les cadavres.
Le dernier train pour Busan redonne espoir dans un genre que je commençais à croire trop exploité pour en tirer quelque chose de frais et de réussi en 2016, si vous êtes fan du genre c’est un incontournable, sinon c’est simplement un bon moment à passer en perspective et devant un blockbuster de zombi ça faisait un moment qu’on ne pouvait l’affirmer. Il est amusant de voir ce qu’un film sud-coréen à petit budget par un réalisateur inexpérimenté peut apporter face à un énième blockbuster américain formaté comptant uniquement sur sa star et ses money shot pour se vendre.
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le 24 déc. 2016
Modifiée
le 25 nov. 2024
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