Le titre français de ce film documentaire fait référence à Steinbeck « Des souris et des hommes » rien que ça. Mon interprétation : mettez des souris (des femmes) et des hommes en présence, que se passe-t-il ? Les hommes peuvent-ils se passer des femmes ? Non bien-sûr. Et des abeilles ?
Einstein aurait dit que si les abeilles venaient à disparaître, l’homme n’aurait plus que 4 années à vivre. La raison en est que les abeilles jouent un rôle déterminant dans le processus écologique dont nous dépendons pour notre alimentation. Pour se nourrir, les abeilles butinent de fleur en fleur et transportent naturellement sur leur corps (en particulier leurs pattes) le pollen indispensable à la fécondation de multiples espèces végétales qui permettent l’alimentation de nombreux animaux et ainsi de suite.
Or, depuis une quinzaine d’années, les observateurs constatent que les abeilles ont tendance à disparaître de façon alarmante. Officiellement on ne sait pas pourquoi. Pourtant le film évoque plusieurs éléments qui donnent de sérieux indices.
Tout d’abord, les abeilles font désormais partie intégrante d’un système qu’on ne peut évoquer que sous l’expression « production alimentaire industrielle ». L’exemple typique nous est montré avec ces immenses vergers d’amandiers aux États-Unis. Pour que ces amandiers rapportent (le discours du producteur est parfaitement clair, c’est du capitalisme sans état d’âme), il faut que les fleurs soient fécondées. D’où la présence indispensable des abeilles. Oui, mais des abeilles dans cette région se gorgeraient de ce qui est à leur portée et mourraient une fois ce trésor épuisé. Alors, on les fait venir au moment opportun et on les envoie ailleurs une fois le travail fait. C’est de la pure exploitation dans des conditions peu glorieuses (voir le transport dans des caisses sur des camions immenses), une exploitation qui n’est pas sans rappeler l’ambiance du film de John Ford « Les raisins de la colère » (d’après Steinbeck), sauf que les abeilles n’ont pas la possibilité de faire grève. Éventuellement elles peuvent fuir…
Les abeilles sont merveilleusement bien organisées autour d’une reine. Chacune a son rôle et personne ne commande. Tout est fait dans l’intérêt général et en particulier la survie de la colonie. Danses et impressions olfactives leur permettent de se repérer, communiquer.
Les abeilles sont naturellement menacées par d’autres espèces animales comme ces parasites qui sont capables de les mordre. Elles sont également victimes de graves épidémies qui peuvent décimer un essaim entier. Leur espérance de vie est relativement courte, elles doivent constamment s’assurer que les générations suivantes auront une reine et de la nourriture.
Enfin, la menace la plus grave semble-t-il est celle due à l’intervention humaine. Pour maintenir ces nuées d’ouvrières en état de polliniser leurs vergers, les propriétaires les abreuvent d’eau sucrée additionnée de médicaments. A court terme, les abeilles sont en mesure d’effectuer leur « boulot » mais quelles sont les conséquences sur le long terme ?
Ce film n’apporte pas de révélations qui feraient l’effet d’une bombe. Ceux qui s’inquiètent de l’avenir de notre planète ne seront pas exagérément surpris. Ce film enfonce un peu le clou après « We feed the world » de Erwin Wagenhofer et « Notre pain quotidien » de Nikolaus Geyrhalter. Mais au contraire de l’autrichien et de l’allemand, le suisse Markus Imhoof ne cherche pas à nous écœurer avec des images de gâchis alimentaire ou de surproduction/surconsommation. Les abeilles sont montrées comme des animaux éminemment cinégéniques et le miel qu’elles produisent n’est pas désigné comme un produit à éviter. Et ce malgré le fait que parfois on puisse désormais y déceler des traces de produits chimiques et… que l’homme le vole aux abeilles.
Commenté par la voix off de Charles Berling, le film présente de très jolies séquences où, grâce à des caméras ultralégères et miniaturisées, le spectateur se retrouve au milieu des abeilles, en vol et au beau milieu de la ruche. On voit également des apiculteurs Suisses héritiers d’une vieille tradition et d’autres qui sont associés à l’industrie fruitière, notamment aux États-Unis et en Chine. La question est de savoir si les abeilles sont traitées avec le respect qu’elles méritent. Cela rejoint ma considération à propos du titre, puisque même les Suisses reconnaissent que leurs ancêtres ne seraient probablement pas d’accord avec les méthodes désormais pratiquées chez eux. Oui mais que peut-on faire pour inverser la tendance ? On sait pourtant qu’agir sur l’équilibre biologique a des conséquences qu’on ne peut pas mesurer à l’avance. Ce film est un constat. Si solution il y a, elle ne peut être que concertée. Le film met la question sur le tapis et cette critique en est le relais.