Xavier Beauvois, dans Des Hommes et des Dieux, nous livre une œuvre qui prétend à la grandeur tragique mais s’effondre sous le poids de sa propre vacuité. Vendu comme un drame poignant sur le sacrifice et la foi, le film n’est en réalité qu’un exercice de contemplation stérile, englué dans un formalisme qui confond austérité et inertie. Il ne propose aucune véritable réflexion sur la condition humaine, se contentant d’une mise en scène figée qui sacralise chaque plan comme s’il s’agissait d’une icône religieuse.
Une mise en scène qui confond solennité et vide
Le film s’appuie sur une réalisation minimaliste qui, plutôt que d’apporter de la profondeur, plonge le spectateur dans une torpeur contemplative. Xavier Beauvois semble croire que filmer de longs silences et des visages impassibles suffit à créer du sens. Mais une absence d’action n’est pas nécessairement synonyme d’introspection. Ce n’est pas une lenteur maîtrisée où chaque instant est porteur d’une tension latente. Ici, l’attente ne produit rien, sinon l’ennui.
On pourrait défendre ce choix en affirmant que le film cherche à traduire la vie monastique, son dépouillement et sa sérénité. Mais il ne suffit pas de filmer des moines qui prient ou mangent en silence pour capturer l’essence de leur existence. La contemplation n’a de valeur que lorsqu’elle est accompagnée d’une tension dramatique sous-jacente. Or, ici, cette tension est totalement absente. Chaque scène est une répétition de la précédente, chaque dialogue est noyé sous des pauses interminables qui n’apportent aucune profondeur, seulement un rallongement artificiel du temps de projection.
Un film vidé de toute dynamique humaine
L’un des plus grands échecs du film réside dans son traitement des personnages. Chaque moine semble être une déclinaison du même archétype : le sage silencieux, résigné face au destin. Là où on attendrait des conflits internes, des doutes, des débats sur la pertinence de leur choix de rester ou partir, on ne trouve qu’une acceptation passive de l’inévitable. Où est la confrontation des points de vue ? Où est la tension morale entre le désir de vivre et l’impératif du sacrifice ?
Dans l’histoire du christianisme primitif, la question du martyre a toujours été un sujet de discorde : fallait-il fuir pour mieux prêcher, ou accepter la mort comme témoignage ultime de la foi ? Ce dilemme, qui aurait pu donner de la chair au récit, est ici vidé de tout enjeu. Les moines ne choisissent pas vraiment de rester : ils se laissent glisser vers la mort sans jamais interroger la pertinence de leur décision.
Le spectateur est donc contraint d’observer une suite de scènes où rien ne se joue réellement. Même dans un cadre aussi rigide, il aurait été possible de donner aux personnages une réelle épaisseur psychologique. Mais aucun ne semble animé par une volonté propre, ils sont tous des figurants de leur propre destin, réduits à des silhouettes qui récitent quelques paroles d’Évangile avant de se préparer à l’inéluctable.
Un propos creux qui échoue à dépasser sa propre posture
La principale prétention du film est d’être une réflexion sur la foi et l’engagement. Mais pour qu’un film parle réellement de la foi, encore faut-il qu’il l’interroge, qu’il la mette en tension avec la réalité. Or ici, la foi est traitée comme une donnée brute, une évidence qui n’a pas besoin d’être remise en question.
Le film aurait pu explorer l’ambiguïté du sacrifice : les moines restent-ils par pure conviction spirituelle ou par entêtement ? Par orgueil ? Par une fascination pour l’idée du martyr ? Toutes ces questions sont évitées avec soin, car le film ne veut surtout pas troubler l’image épurée qu’il construit de ses personnages. En refusant de s’engager dans une véritable interrogation, il se condamne à n’être qu’une hagiographie glacée, un exercice d’admiration unilatérale où tout questionnement est mis de côté.
Le problème, c’est que nous sommes au XXIᵉ siècle. La foi, aujourd’hui, ne peut plus être présentée comme une évidence absolue sans paraître archaïque. L’époque où l’on admirait sans réserve le sacrifice religieux est révolue : la véritable question n’est plus de savoir s’ils ont eu raison de rester, mais pourquoi ce genre de posture a encore une place dans un monde où la rationalité est censée primer sur l’aveuglement mystique.
Un cinéma mortifère pour spectateurs dociles
On pourrait croire que ce cinéma ultra-contemplatif est une démarche audacieuse. Mais en réalité, il est profondément conservateur dans sa manière de traiter son sujet. Il impose au spectateur un respect forcé, un recueillement obligatoire devant ces figures de saints modernes, sans jamais lui permettre de questionner ce qu’il regarde.
On retrouve ici la filiation du cinéma tarkovskien dans ce qu’il a de plus insupportable : l’idée que l’ennui est une vertu, que le silence est forcément synonyme de profondeur, et que la lenteur est un gage de sérieux. Tout est construit pour que l’on ait l’impression d’être face à une œuvre majeure, alors qu’il ne s’agit que d’un récit vide qui s’étire artificiellement.
Ce cinéma prétend à une forme de grandeur tragique, mais il ne fait que travestir son absence totale d’audace en ascèse artistique. Là où un film véritablement puissant aurait creusé ses dilemmes moraux, celui-ci se contente de figer ses personnages dans une pose sacrificielle. C’est du masochisme cinématographique : un film où le spectateur est condamné à souffrir dans l’attente d’une illumination qui ne viendra jamais.
Conclusion : un exercice stérile, un cinéma de façade
Avec Des Hommes et des Dieux, Xavier Beauvois ne fait pas un film sur la foi, ni sur le sacrifice, ni même sur l’humanité : il fait un film sur l’idée qu’il se fait d’un grand film. Il construit un monument à la solennité, mais ce monument est creux. Un film sans rythme, sans tension, sans véritable enjeu, qui confond austérité et profondeur, et qui cherche à imposer un respect qu’il ne mérite pas.
Le cinéma, même lorsqu’il traite de sujets graves, n’a pas pour mission d’être une épreuve pour le spectateur. Il doit susciter une réflexion, provoquer une réaction, créer une dynamique. Ici, il ne fait rien de tout cela. Il se contente d’aligner des plans fixes, des visages impassibles et une bande-son religieuse pour donner une illusion de grandeur.