La possibilité d'une île
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le 19 déc. 2015
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De nombreux spoils dans ce billet. Vous pouvez néanmoins lire les quatre premiers et les trois derniers paragraphes qui ne rentrent pas trop dans le détail.
Aller à la dérive est défini comme suit: être le jouet des flots, avancer sans direction précise sous l'effet des vents et des courants, s'écarter de sa direction normale ; être sans énergie, sans volonté, ne pas réussir.
Le titre original coréen repris en titre de cette critique est donc particulièrement bien choisi puisque chacune de ces définitions s’appliquent, à un moment ou à un autre, à la fois littérallement et métaphoriquement, à nos protagonistes principaux, dans le premier film en solitaire (très à propos en l'occurence) de Lee Hae-joon. (il avait préalablement co-réalisé Like a Virgin en compagnie de Ryu Deok-hwan ).
D’un coté, Kim Seung-geun, un salary man coréen criblé de dettes, se retrouve, après sa tentative de suicide ratée, coincé au milieu d’un îlot désert sous un pont au milieu de la ville de Séoul après avoir été transporté là par les courants du fleuve Han. Il ne parvient évidemment pas à quitter cet endroit et va devoir apprendre à survivre dans cet environnement à la fois si proche de la ville et pourtant si éloigné de celle-ci.
Monsieur Kim faisait partie de la société Coréenne et se retrouve isolé de celle-ci par les affres du hasard. Il va devoir réapprendre à vivre. Il se trouve littéralement sur une île et son éloignement du reste de l’humanité est physique.
De l’autre, une Kim également, mais Kim Jung-yeon pour le coup, est une hikikomori, c’est-à-dire une jeune femme qui vit complètement isolée du monde dans sa chambre qu’elle ne quitte jamais, même pas pour voir ses parents et qui n’a plus d’interaction avec le monde extérieur que par l’intermédiaire d’une vie en ligne qu’elle s’invente en grande partie et lorsqu’elle observe et photographie la lune (une endroit dépourvu d’humain). Jung-yeon quand à elle à choisi de s’isoler et va à travers le film peu à peu sortir de son isolation. Elle aussi se trouve sur une île, mais l’éloignement qu’elle vit par rapports aux autres êtres humains est psychologique.
A travers ces deux destins évoluant en parallèle qui vont finir par s’entrecroiser, le film parvient à exprimer de nombreuses choses à propos de la société coréenne en particulier, mais qui a valeur universelle dans notre monde globalisé.
Le film parle bien entendu du détachement des biens personnels et des faux-semblants que nous nous imposons nous même.
L’isolation de Kim Seung-geun sur cette île dans une ville des près de dix millions d’habitants est aussi cocasse que piquante et exprime directement la solitude de l’individu, retourné à l’anonymat, perdu qu’il est dans la masse des grandes villes. Notre naufragé aura beau se démener pour qu’on le remarque au départ, rien n’y fera. Personne ne lui prête attention.
Cette île est également un endroit où se sont échoué de nombreux objets jetés aux rebuts et qui ont atterri dans le purgatoire dont il devra faire son foyer.
On constate d’ailleurs que l’île est jonchée d’emballages et de publicités renvoyant aux marques et entreprises diverses de la société de consommation.
Le film oppose cette simplicité retrouvée, ce retour à la terre de la part de Kim Seung-geun à la vacuité du monde capitaliste ; un monde qui, aussi rempli de biens de consommation qu’il soit, a amené notre sympathique protagoniste au suicide, quand l’existence simple sur cette île lui redonne goût à la vie à travers ces nouilles aux haricots noirs, un plat si ordinaire que le protagoniste, dans une séquence en flashback, ne cesse de le refuser, et qui désormais est devenu pour lui une obsession. Ce plat de nouilles est bien entendu une métaphore de cette simplicité retrouvée.
De son coté, Kim Jung-yeon, s’impose une isolation car elle ne se reconnait pas dans ce monde. Elle rêve sa vie par écrans interposés en s’inventant une image de top model en parlant d’activités et de vêtements qu’elle n’a pas vraiment acheté,… Tout est faux dans ce qu’elle montre d’elle, car c’est le seul moyen qu’elle a trouvé de s’intégrer à un monde qui n’est fait que d’apparences et de mensonges. Sa seule connexion se fait avec la lune, illustration qui pourrait paraître par trop évidente de son coté lunaire justement, mais qui fonctionne plutôt bien.
Mais le film de Lee Hae-joon est avant tout un film qui parle de connexion ; pas de ces connexions virtuelles que nous avons à travers nos écrans, mais de connexions humaines.
Le réalisateur illustre d’ailleurs cette opposition entre connexion virtuelle et réelle tout au long du film.
Dans une scène du début, Kim Seung-geun cherche à tout prix à contacter avec son téléphone quelqu’un pour le tirer de ce pétrin dans lequel il s’est fourré, mais toutes ses tentatives sont vouées à l’échec.
De même, Kim Jung-yeon, à travers internet n’arrive à obtenir que des connexions humaines factices basées sur le culte de l’apparence.
Ce n’est que lorsqu’ils abandonneront ces outils technologiques et se remettront à communiquer par l’entremise de moyens classiques : des mots écrits sur la plage pour lui, et une bouteille avec un message (dans un contre pied plein d’humour du lieu commun de la bouteille à la mer) pour elle qu’ils parviendront l’un et l’autre à recréer un lien véritable.
Ce thème de la connexion se reflète jusque dans le genre du film qu’on peut rattacher à la comédie romantique, dont chacun sait qu'il est un genre qui parle justement de deux individus qui se trouvent, se reconnaissent, et dépassent leur solitude respective ; et Des nouilles aux haricots noirs va jouer intelligemment de ces motifs.
Mais réduire ce film à ce seul aspect n’est pas lui rendre justice. C’est un film drôle, touchant dans son message sur nos solitudes modernes, profondément humain, avec des moments de mise en scène très réussis, une photographie qui ne l’est pas moins et qui en plus est brillamment interprété avec à la fois une certaine sobriété et une pointe de folie.
Bref, le film est excellent, et je vous le conseille au plus haut point si vous ne l’avez pas encore vu. Un dernier conseil qui s’avérera des plus judicieux néanmoins en guise de conclusion : vous devriez vous préparer un bon bol de nouilles aux haricots noirs avant de le lancer, car vous risqueriez d’être un rien frustré si vous oubliiez cet accessoire essentiel à la bonne tenue de votre séance. N’hésitez pas à le déguster en compagnie d’une personne chère à votre cœur afin de parfaire l'expérience.
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Créée
le 10 juin 2022
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