Avec le temps j'ai appris à anticiper un tant soit peu et me préparer psychologiquement au fait qu'il n'est jamais agréable de se lancer dans un film de Pasolini. L'inconfort peut se révéler productif ou au contraire rebutant, mais il est toujours là, solide, presque constitutif. J'y songe en regardant "Des oiseaux, petits et gros", alors que ce film est sans doute celui qui s'apparente le plus au versant comique de sa filmographie (largement mal connue me concernant), puisque les deux larrons interprétés par Totò — mort peu de temps après — et Ninetto Davoli ressemblent dans leurs pérégrinations à des personnages d'un Chaplin morose. D'un côté un visage impassible et une démarche mécanique, de l'autre un innocent rigoleur : il faut aimer.
Ce n'est pas le Pasolini le plus expérimental que j'ai pu voir jusqu'à présent, mais c'est en revanche très clairement le plus enclin à filer les métaphores sur fond de comédie absurde : il n'y a qu'à voir ce corbeau marxiste professer ses leçons de philosophie interrogeant les deux hommes sur la société en affichant ostensiblement "toute ressemblance avec votre monde n'est sûrement pas fortuite". Sans doute un des Pasolini les plus maladroits et les plus attachants, je dois dire, même si je n'ai pas beaucoup adhéré.
D'un point de vue purement narratif, j'ai trouvé très surprenant la survenue de l'illustration soudaine de l'histoire de Saint François d'Assise demandant à deux moines (joué par les 2 mêmes acteurs) d'évangéliser les oiseaux, des faucons et des moineaux — les gros comme les petits, donc. Le curseur de l'incongruité est à son maximum, saupoudré de burlesque, pour aborder des questions pourtant très pragmatiques en lien avec l'injustice du monde. Le parti pris est fort, il peut susciter à quelques occasions un ennui poli, mais on se fait peu à peu aux lieux désolés sillonnés par les protagonistes, filant droit vers le final savoureux (sauf pour le corbeau).
Comme souvent j'ai la sensation qu'il me manque beaucoup de connaissances historiques, ici en l'occurrence en lien avec la mort de Palmiro Togliatti en 1964, pour faire le lien entre les aspirations autant marxistes que chrétiennes de Pasolini. La profusion de symbole et de bizarreries formelles peut s'avérer indigeste dans un cadre aussi bouffon.