Liberté chérie
En adaptant librement le roman « La désobéissance », le réalisateur chilien Sebastián Lelio, nous offre dans son troisième film, le traitement des thèmes qui lui sont chers. Fortes,...
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le 18 juin 2018
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En adaptant librement le roman « La désobéissance », le réalisateur chilien Sebastián Lelio, nous offre dans son troisième film, le traitement des thèmes qui lui sont chers. Fortes, fragiles, et combatives : des portraits de femmes menant à bout de force leur quête dans la société.
C'est dans la communauté juive orthodoxe de Londres que Ronit arrachée à son quotidien new-yorkais vient rendre un dernier hommage à son père, le très respecté et aimé Rav de la communauté.
Un retour pour Ronit qui n'a rien d'ordinaire dans une communauté qui n'oublie pas : la fuite de la communauté par la jeune femme dès l’âge adulte, qui ne pardonne pas l'abandon de l’enfant fait à son père et surtout qui ne l'attend pas : entre gêne et mal à l'aise de retrouver une dès leurs devenue une véritable étrangère.
Dans ce moment de deuil qui relie pourtant un défunt père à sa fille unique, absolument personne ne l'attend... mais plutôt une seule personne brûle d'un intense désir à son retour : Esti amie et amour de jeunesse de Ronit.
Rachel Weitz et Rachel McAdams offrent une magnifique performance.
Ronit et Esti ont été élevées, aimées et ont reçues les valeurs et croyances de leur communauté.
Esti est devenue tout ce que l’on attend d’elle : une épouse orthodoxe au côté de son mari, au rythme de vie cadencée par la religion (qui compte beaucoup à ses yeux) et qui pour tenir a su trouver un souffle de respiration à travers son métier d’enseignante qu’elle affectionne.
Ronit est devenue une femme accomplie, pleine d’assurance, fière de ce qu’elle a choisi d’être (et donc de ne pas être ce que sa communauté attendait d’elle), à la fois libre dans ses choix personnels et autonome par sa réussite de photographe professionnelle.
Les années d’absence de Ronit et le mariage « de fuite » d’Esti avec Dovid, l’ami d’enfance et futur successeur du Rav n’ont rien changé.
L'alchimie entre les deux femmes demeure toujours grandiose : des regards presque suppliants se cherchent et des gestes d’envie renouent instantanément avec le désir. Une passion tendre et folle en découle, comme un besoin commun de panser leurs plaies trop longtemps laissées en souffrance.
En effet, à la question d’Esti à Ronit, « Es-tu heureuse ? Oui », malgré le parcours accompli, de Ronit, comment pourtant ne pas déceler un subtil voile de tristesse qui tapisse le fond de son regard : cette tristesse n’émane t-elle pas d’un sentiment d’abandon ?
Dans le regard d’Esti, c’est un terrible appel au secours qui en découle : mais voilà comment être autre chose de ce que la communauté attend d’elle ? Une communauté qui l’a aimée, construite, fait grandir et pour laquelle elle a de l’attachement mais qui la rejettera pour son désir d’aimer autrement.
Le personnage de Ronit s’insère comme un chaînon libérateur du triangle relationnel formé avec Dovid. Ne pouvant plus faire marche arrière à la détresse de son amie/amante, elle va aussi entraîner la délivrance de Dovid.
Englué dans le fantasme d’une vie de couple heureuse, Dovid clame dans un très beau discours libérateur : « Vous êtes libres ! ». Désigné depuis ses 12-13 ans, il porte sur ses épaules le lourd poids de devenir le futur Rav de la communauté, « Vous êtes libres ! » et donc à présent lui aussi.
Une liberté d’accomplir sa propre vie de femme se dessine pour Esti accompagné d’un bonheur de maternité à l’horizon. Cette joie voulue de maternité se heurte au déchirement de revoir partir loin l’amour de sa vie. Mais on sent que ce n’est qu’un au revoir et que ce lien puissant intemporel qui unis les deux femmes depuis l’enfance perdurera dans le temps.
Dans un dernier cliché, Ronit vient dire au revoir à son père, ce qui comme acte de conclusion s’accorde avec le cliché du vieil homme tatoué qu’elle photographiait au début du film (qui hors mis les tatouages n’est pas sans rappeler l’image de son père).
Une réalisation soignée, portée par un beau casting, avec beaucoup de justesse et d’intelligence dans les thèmes traités. Ainsi, peut-on parler de désobéissance s’il s’agit d’atteindre l’accomplissent de ses propres convictions ?
Au-delà de la communauté juive orthodoxe où se déroule l’histoire, ce film offre une réflexion universelle autour : de ce que l’on reçoit, de ce que l’on attend de nous, de ce que l’on devient, de ce que l’on veut et de ce que l’on fait de cette liberté qui est la nôtre.
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le 18 juin 2018
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