Quatrième opus de la saga labellisée, celui qu'on appellera Destination Finale 4 (par souci de lisibilité) est le tome de la démesure. Véritable série-fleuve, les Destination Finale s'entêtent à se répéter constamment et ce de plus en plus vite (jusqu'à ce qu'on ne comprenne plus rien). Film concept abstrait, tour à tour exposition dans son premier volet, apogée du grotesque puis volute concentrée et sensible. Le chemin faisant on croyait tout savoir de ce joujou simple et attachant : une vision intervient dans la vie de quelqu'un (de jeune) et l'empêche, lui et ses ami(e)s de mourir sous les coups d'une catastrophe de grande ampleur. La mort étant aussi joueuse qu'un spectateur, elle s'amusera ensuite à suivre scrupuleusement le déroulement de cet accident pour achever (de la façon la plus improbable et stratégique qui soit) les rescapés. Un plan simple, pas de sortie de secours ; personne n'en sortira indemne.

Beaucoup de rires et d'exécutions plus tard on aborde ce quatrième numéro avec décontraction. Le programme ne nous réserve plus de surprises. Nouvelle excentricité alliant excès et stupidité à l'image de la série dans son ensemble : les lunettes 3d vissées sur la tête seront à la fois notre nouvelle protection face à l'horreur et un nouveau pas vers ce multivers absurde et romantique. A la manière d'un jeu chaque joueur se débattra pour sa vie, survivra le plus longtemps possible pour battre son highscore et recommencera la partie prochaine. La technicité dévore la substance même du film (comme nous le présente l'affreux générique de début) et l'ingéniosité de ses crimes devient le véritable fer de lance de sa narration : de plus en plus complexe, surprenante et dantesque, la mort devient la seule existence tolérable pour des personnages parqués comme des bêtes, numérotés, et aussi cons qu'un bovin.


De plus en plus de place pour l'exécution, de moins en moins pour les personnages. Destination Finale 4 fait figure d'exemple ; là où les premiers films s'appesantissaient sur l'explication de tout ce toutim mystico-philosopho-mongol le quatrième nous nargue par ses choix volontaires d'exclure des pans entiers d'une conception de film solide : dialogues, progressions, charisme, propositions et envies de personnages, interactions intéressantes. A la manière de la matière, d'atomes possédant leurs propres positions dans l'espace et dans la grande intrication des choses, les personnages partent d'une position de départ pour ensuite bouger de manière chaotique entre les différents états possibles et observables. A peine nommés (ils sont d'ailleurs plutôt baptisés par leurs amis au début du film comme des nouveaux-nés assistant à un spectacle automobile, s'empiffrant d'une bouffe indescriptible et se lovant dans leur propre ennui existentiel) ces "acteurs" interchangeables n'ont ni but ni passion ni avenir : gosses de riches, filles qui ne savent que parler de mode et rêvent d'aller à Paris, garçons qui aiment le golf et parlent de filles, on atteint un constat décomplexé rare dans le domaine du stéréotype. On discute, on s'amuse, on baise et on ne sait jamais très bien si cela nous rapproche de la mort ou nous en écarte.

Dans sa structure même le film atteint un aboutissement et fascine par l'inextinguible prison d'espace et de temps qu'il met en place. Auteur et personnage s'enferment d'un même mouvement dans leur film et coexistent sans réellement savoir comment pratiquer : les ellipses existent mais les personnages y sont insensibles, la transmission d'information devient véritable acte de foi, l'édification même du scénario s'improvise au fur et à mesure des minutes. Après avoir échappé à un terrible accident sur un circuit automobile tout le monde comprend et accepte qu'il est temps de mourir. Ils se retrouvent d'un endroit à un autre de la ville en un instant comme si la téléportation était une règle physique désormais admise au cinéma : une coupe sépare deux plans et de l'un à l'autre le personnage est statique, il n'a rien appris, rien compris, il n'a pas existé, il a seulement été déplacé. Enfermés mais sans jamais vraiment se débattre si ce n'est face à ce couperet sordide : allez, courez au plus vite à travers l'écran, débordez en même grâce au nouveau dispositif de la 3 dimension, car rester en place serait synonyme d'échec et de mort. Le temps se dilate totalement, se dédouble, devient vision prédicatrice, retour en arrière, merveilleuses possibilités qui s'enchaînent sans cesse et où on meurt ou on se sauve à loisir. C'est en coupant tous les ponts réalistes entre les lieux et les temporalités que le film se regarde lui-même, se raccorde tout seul, et où la logique perd au profit d'une bande d'humains dégénérés qui font tout pour façonner leur propre destin. Ils racontent leurs histoires autant qu'ils en meurent.

On l'aura compris rien n'est réellement tangible dans l'univers de Destination Finale si ce n'est le piège (celui qui naîtra toujours d'un coup de vent, qui fera également toujours couler du gasoil, poussera une cuillère en équilibre sur la table, tournera ainsi la molette du gaz, etc.). La mort devient achèvement esthétique, un état de plus parmi d'autres, ni très grave ni très préoccupant, seule solution dans le marasme d'une vie d'un totalitarisme de la bêtise. Mourir est ce qu'on pourra faire de plus beau et de plus juste. Le jeu de massacre d'une poignée de crétins n'a pourtant rien de cruel. Si ce n'était pas eux ce serait nous, c'en serait d'autres, peu importe au fond. La jouissance dans le combat quotidien de la mort pour l'emporter sur le vivant, pour privilégier la disparition. A partir du moment où un personnage n'a pas de personnalité pourquoi l'évacuer et nous en priver ? Parce qu'une cruelle farce vaut mieux qu'un nom sur un visage, parce que rire avec la mort des autres nous préserve du mal qu'elle nous fera quand elle touchera les nôtres. La mort d'un inconnu restera toujours une simple information. C'est avec un sujet aussi sensible que le décès que Destination Finale nous amène sur une piste rare, privée d'affect et d'explication. Traîné par un camion en flammes, réduit à l'état de petit tas et d'un pull par un escalator, l'accomplissement de la mort se fait dans la performance, dans l'aboutissement artistique et gore de nos pulsions primaires de voir la destruction et de s'en réjouir. Mourir, c'est sûrement ce que ces personnages avaient de mieux à faire. Quatrième pas vers l'insensé absolu, vers le jusqu'au-boutisme du divertissement, le cinéma qui écrase l'homme, qui écrase le spectateur, sans répit. C'est sûrement pour ça qu'on s'attache à cette série pourtant déjà désuète et crâneuse, parce que Destination Finale met toujours en avant une qualité de choix : sa virtuosité dans son propre sabotage.
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le 6 août 2010

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