"Detroit" est d'abord un film nécessaire, alors que les crimes de la police américaine contre la communauté noire se sont multipliés, peut-être du fait du sentiment d'impunité qu'a fait naître l'administration Trump. Que cela soit la brillante et célébrée réalisatrice Kathryn Bigelow qui se soit lancée dans ce projet, basé sur un fait divers horrifique situé durant les émeutes ayant enflammé Détroit en 1967, est indéniablement un gage d'efficacité (... même si, comme pour le superbe "Zero Dark Thirty", le scénario extrapolant à partir de faits non avérés a pu créer la polémique à la sortie du film).
Et efficace, "Detroit" l'est jusqu'à la nausée : le long, l'interminable huis-clos central fait littéralement vivre au spectateur la terreur des victimes des exactions d'un trio de policiers à la fois racistes, stupides et psychopathes, et la mise en scène (admirable de réalisme et de lisibilité) et la direction d'acteurs de Bigelow atteignent ici les sommets. Nombreux sont les moments où, face à la barbarie du comportement des policiers - et l'indécence du laisser-faire général des témoins, qu'ils soient civils comme l'agent de sécurité interprété par John Boyega, ou militaires, nous souhaiterions que le film s'arrête : "Ça va, Kathryn, on a compris, tu nous a convaincus !", a-t-on envie de dire. Mais, comme dans la réalité, comme pour les victimes, les horreurs continuent.
Cet aspect volontairement excessif est à porter au crédit de ce projet militant, mais en constitue aussi la limite : du fait de la singularité du fait divers (qui en empêche l'universalité puisqu'on pourra - heureusement - objecter que les policiers à l'oeuvre ici ne sauraient être représentatifs), la démonstration doit passer par un ultime acte, celui - beaucoup plus classique - du procès qui officialisera l'impunité des crimes et le racisme institutionnel, mais est à la fois redondant et convenu. "Detroit" clôt ainsi logiquement sa démonstration politique mais perd beaucoup de son originalité et de sa force.
Du coup, Bigelow loupe in extremis le "film événement" que la critique US a voulu voir en "Detroit" et que la mémoire des victimes des brutalités policières mérite tant.
[Critique écrite en 2018]