Détruisez-vous : le fusil silencieux est un drôle de film. Aussi inclassable que son réalisateur, Serge Bard, qui après avoir appartenu au groupe d'artistes avant-gardiste Zanzibar a décidé subitement de se convertir à l'islam, rejetant tout théorie anarchiste et révolutionnaire au profit d'une vie paisible à la Mecque, sous un nom différent. On peut donc suggérer qu'en plus d'avoir renié ses amis, parmi lesquels le soixante-huitard Philippe Garrel (papa de Louis), Serge Bard a également renié ses oeuvres cinématographiques, au nombre de trois. Détruisez-vous en fait partie.
Le projet, expérimental au demeurant a été réalisé alors que Serge Bard était encore un étudiant en ethnologie. Il n'y a pas d'histoire véritable qui le soutienne, seules se mélangent des scènes sans lien apparent les unes avec les autres. Pour autant, cette accumulation de plans fixes, silencieux avec d'autres mouvants et parlants a pour intention de déconstruire tout ce qui appartient au schéma de la fiction classique, jugé conventionnel. Forme, propos et fond sont ainsi réunis pour servir un idéal impérieux dans lequel le spectateur doit être convaincu de se jeter à corps perdu : la révolution. Et c'est là que ça se gâte.
Il faut dire que Détruisez-vous n'est déjà pas très bien réalisé sur le plan technique. Le son grésille, les échos sont parfois assourdissants sans que l'on arrive à bien saisir ce que racontent les différents protagonistes, ce qui rend le visionnage assez pénible. On peut y relever deux personnages principaux, de par leurs interventions multiples (contrairement aux autres qu'on ne croise qu'une fois) : une jeune femme, déboussolée face aux idées révolutionnaires et un professeur qui en fait l'apologie. Cette femme, non nommée, que l'on voit dans différentes postures, nue, souriante, hésitante, perdue dans son esprit parle dans des monologues dont les connexions sont inexistantes. Par elle parle le réalisateur qui donne une vision des révoltes de 68 en opposant essentiellement étudiants, capables de se se soulever et de renverser le pouvoir et ouvriers, coupables de ne vouloir qu'un peu plus de liberté et d'argent pour pouvoir s'acheter une télévision, puis une voiture. En somme, ce qui est reproché à la classe ouvrière sont ses considérations matérielles présupposées, quand la jeunesse elle, véritablement concernée et enivrée veut renverser le pouvoir, l'Etat dans un idéal fondamentalement anti-bourgeois, insulte suprême d'alors.
Ce sera presque à qui dira le plus de stupidités. Notre professeur, galvanisé par ses pensées attrayantes parle notamment de taxer les monogames jusqu'à 65% de leurs revenus, de mettre les étudiants à sa place, et autres visions finalement pauvres en imagination tout autant qu'en portée révolutionnaire réelle. C'est gentil, c'est probablement délirant pour un étudiant, mais au final ça ne va pas bien loin. Le manque d'ambition des propos tenus dans Détruisez-vous est d'autant plus dommageable qu'il y a malgré tout quelques phrases qui font mouche, bien souvent non propres à Serge Bard mais empruntés à des immortels, comme Henry David Thoreau. Malgré l'absence de structure conventionnelle, le réalisateur ne peut se défaire complètement d'un cadre, forcé par la pellicule. Les suites de plan en noir et blanc, couleurs, sépia sont fluides, mais les cadrages de dix minutes sur des voitures qui roulent enchaînés avec quelques phrases sans but finissent par faire piquer du nez.
Considérant la solidité molle des convictions révolutionnaires de Serge Bard, Détruisez-vous n'aura été rien de plus qu'un projet étudiant un peu rigolo à l'époque, complètement anecdotique aujourd'hui.