La symbolique qui ouvre Diamant Noir est tellement ostentatoire qu’elle peut occasionner deux réactions : l’irritation condescendante que le spectateur croit pouvoir se permettre à l’endroit de ce premier film, ou le questionnement sur son intention. Montrer avec cette insistance l’œil, le diamant et la meule, dans une convergence circulaire, établit un programme aussi limpide que l’est la lettre que Pier rédige pour l’enterrement de son père : exploité, mutilé, spolié par sa famille de diamantaire, il a tout perdu, y compris sa femme et son fils. L’heure est venue de demander réparation.
Diamant Noir est ainsi un récit de vengeance, dont le premier mérite est de se construire sur le long cours. De la même manière que les pierres en question se taillent avec patience et minutie, Pier va s’introduire chez l’ennemi, s’y intégrer pour murir un plan qui visera à frapper de l’intérieur. Arthur Harari privilégie dans un premier temps l’exactitude : sur le milieu des diamantaires, dont le traitement est presque documentaire, et tout à fait passionnant ; sur la nouvelle famille, enfin, dont il va explorer tout l’éclat et les zones d’ombre.
Tout est donc question de point de vue, et du prisme par lequel on décide de contempler. Embarqué avec Pier (Niels Schneider, aussi minéral et brut qu’il était solaire dans Les amours imaginaires de Dolan), le spectateur considère l’ennemi et ajoute à ses attendus les motifs de son châtiment futur. Un oncle mutique et méfiant, un cousin (August Diehl, splendide nazi défiant Fassbender dans Inglorious Basterds) aux dents longues, qui ne voit en lui qu’une main d’œuvre pour des travaux d’intérieurs. Mais une nouvelle fois, la symbolique prime : lorsqu’on demande à Pier de détruire les cloisons, il le fera dans tous les domaines : pénétrant dans les chambres à coucher, dans l’atelier de taille, et jusque dans les négociations de l’entreprise qui cherche à se diversifier.
Pier, on l’a vu dans le prologue, est le spécialiste de l’intrusion : il visite un lieu, en fait la carte avant d’y retourner commettre son forfait. Son œil est une boussole assurée, et son cap est inébranlable.
Seulement voilà : le prisme a changé. La patiente initiation à la taille du diamant a un objectif double : l’immersion plus profonde dans l’entreprise pour mieux la dépouiller, aidé par le duo de malfrats avec lequel il officiait en France et qui viennent en cellule dormante attendre leur heure. Mais aussi apprendre à voir un objet dont les facettes absorbent et renvoient la lumière à la manière d’un kaléidoscope. Avec lui, la vérité s’émancipe et se ramifie, et les repères s’effritent. La convergence de toutes les tensions parvient ainsi à suffoquer comme à surprendre le spectateur, dans une atmosphère poisseuse et à la binarité résolument poreuse.
Pier, qui devait suivre la dynamique de la libération cathartique, a finalement construit son propre étau : par la découverte d’une passion réelle, celle de la taille, et l’école d’un nouveau regard sur l’ennemi. Il comprend, très tard, que le mal véritable n’est pas tant celui du récit fantasmé d’une injustice faite à son père que le silence qui fut leur seul lien. Parler, fréquenter, appréhender directement les êtres, aussi contradictoires soient-ils, permet une forme d’apaisement. Mais sur ce passé mythologique qu’on relit se greffe un autre, plus récent : les malfrats en attente du casse, dans une scène d’une grande intensité : dans une même pièce, le verbal libère, tandis que le mal physique a déjà eu lieu : le secret familial est percé, tout comme le sont le coffre-fort et la confiance.
La lumière tragique qui vient souiller la possible rédemption est tout sauf vengeresse : elle pérennise cette complexité par laquelle on ne peut réduire les personnages à des statuts moralement stables, en témoigne l’attitude de Pier à l’égard de Luisa.
De l’écriture incisive comme les facettes de la pierre à une photo qui ne se trompe pas sur l’éclat à donner aux êtres, Diamant Noir aura donc abusé de la symbolique de son sujet, mais avec une pertinence rare : ce premier film a tout du joyau.
(7.5/10)